Les fragments suspendus de Farida Hamak
Photographie / Lieux abandonnés, rivages silencieux, silhouettes fugitives : Farida Hamak explore la Tunisie par éclats silencieux, construisant un récit discontinu où le politique se joue dans l'ombre, et où la beauté naît d'un retrait.

Photo : Composition, Ile de Kerkennah, Tunisie, 2022 ©Farida Hamak
L'œil de l'ancienne photojournaliste des zones de conflit se pose sur les choses et l'humain avec une élégance ancestrale, sans perturber les dynamiques extérieures. Éludant la nécessité de fixer une identité ou un décor, Farida Hamak privilégie les interstices, les vues obliques, destituant la primauté de toute frontalité.
Avec Empreintes, la Tunisie ne se déroule pas comme un décor continu, mais se dessine comme un réseau de parcelles d'histoire, à leur tour faites de ruptures et de survivances. Ce qui s'offre à la vue, ce n'est pas le monument mais l'érosion, non pas le spectacle mais la trace. L'esprit d'Atget semble apparaitre par moment : même attention aux marges, aux failles qui disent plus que les façades triomphantes.

Figures et traces
Chez Hamak, la présence humaine se fait rare, discrète, relevant presque du fantomatique. Les apparitions ne saturant pas le cadre, elles le fissurent. Ce choix marque le passage d'un regard forgé par l'urgence de l'actualité vers une écriture du détour. Ce n'est plus l'événement qui prime mais ce qui, de lui, demeure en suspens. L'humain devient trace, souffle, absence qui insiste.
Une esthétique du suspens
Grain rugueux, lumière tranchée, cadrages volontairement incomplets : les images d'Hamak n'illustrent pas, elles retiennent, sans forcer, ce qui échappe. On pourrait convoquer ici Luigi Ghirri, maître du presque rien et du silence photographique. Celui qui voyait dans la photographie une « poésie des choses simples » travaillait les marges du quotidien pour en révéler l'inépuisable fragilité. Chez Hamak, la lumière est plus âpre, mais la logique demeure : laisser advenir un monde discret, où chaque détail devient signe. Le silence n'est pas seulement atmosphère, il est langage.

Héritages et déplacements
Loin de ses années de reportage, Hamak déplace son geste. Elle ne suit plus le tumulte mais s'attarde sur ses retombées : un lieu vide, un horizon sans éclat, un visage entrevu. C'est encore du politique, mais par d'autres moyens. La photographie, comme l'a souligné Philippe Dubois dans L'acte photographique, enregistre moins une continuité qu'une coupure ; c'est dans cette fracture que se loge la mémoire. Hamak fait de cette coupure une matière première, où l'histoire collective affleure au détour d'un fragment.
C'est dans ce travail du fragment que réside la force d'Empreintes : une constellation d'images qui dessine un pays sans jamais le clore, et qui rappelle, comme le disait Sontag, que le silence reste inévitablement une forme de langage.
Empreintes par Farida Hamak
Du 18 septembre au 15 novembre 2025 à la galerie Regard Sud (Lyon 1er) ; entrée libre