Persiste, prouve que tu existes
Art contemporain / Au musée Paul-Dini, jusqu'au 21 septembre, "Ce qui reste" fait de l'héritage des gestes et des pratiques rurales une matière vive, façonnée par neufs artistes de la région.

Photo : Nicolas Boulard, Nuancier finement boisé, 2007, verre, liège, chêne, Chardonnay. Collection de l'artiste © ADAGP, Paris, 2025 © photo N. Boulard Courtesy Galerie 22, 48m2
À l'espace Cornil, l'entrée se vit comme la traversée des strates effacées d'un palimpseste : nul décor d'un prétendu âge perdu ne s'offre à nous, mais des tentatives de rendre sensible ce qui, dans la transmission, se rejoue, se décale, se reformule. En se réappropriant des gestes agraires, les artistes célèbrent ces formes de vie qui persistent dans les plis de l'histoire, face à l'effacement fomenté par le temps et la mécanisation.
Prolongement du festival Campagne première de Revonnas (Ain), le projet expositif imaginé par Marion Ménard et Fanny Robin refuse ainsi toute lecture strictement géographique de la ruralité. Celle-ci devient à rebours réservoir symbolique, cristallisation de gestes, temporalités et rythmes fragilisés par l'accélération contemporaine.

Déplacer pour voir
L'intervention de Sylvie Sauvageon agit comme pivot. Tout part d'un transport improvisé : une cabine déplacée lors de la dernière édition du festival, métamorphosée en procession. À partir de ce geste, l'artiste déploie dessins et archives où se croisent colporteurs, cortèges religieux, souvenirs intimes, iconographies effacées. Le geste de porter, tirer, transmettre devient lui-même mise en forme : faisant écho autant à Didi-Huberman qu'aux pratiques populaires, Déplacer-voir installe le public dans une circulation de mémoire et d'énergie.

Récits stratifiés
Plus loin, Nicolas Boulard transpose la fermentation du vin en une esthétique entre minimalisme américain et alchimie paysanne tandis que Delphine Gigoux-Martin, par ses tapisseries hantées d'animaux, mêlant merveilleux et cruauté, réactive la mémoire d'un monde archaïque régi par la prédation. Géraldine Kosiak explore l'intime comme terrain collectif dans ses dessins et fragments de phrases qui côtoient les photographies d'Yveline Loiseur, ces dernières s'inscrivant dans une temporalité suspendue où l'évanescence devient matière.
Mémoire gestuelle et mémoire cadastrale
Nicolas Momein, à travers des procédés artisanaux et industriels, rappelle que le geste manuel ne disparaît jamais : il se détourne, se déplace. Nelly Monnier condense la mémoire géographique en paysages recomposés, nuanciers affectifs plus que descriptions. Alors que chez Joël Paubel, cartes napoléoniennes, notes et vêtements de travail composent une archéologie mouvante du territoire, reliant les temporalités lointaines. Enfin Jean-Jacques Rullier, avec son installation immense et acérée, prolonge cette logique avec 150 objets pour couper : inventaire rigoureux, oscillant entre Oulipo et musée d'ethnographie, où classification et prolifération se rejoignent.

Les œuvres réunies dans Ce qui reste ne se figent pas en reliques mais déplacent, condensent, transforment. Le terroir devient ici pigment, le cadastre récit, la procession dessin. Une véritable dramaturgie de la survivance : non comme trace figée mais comme moteur de création contemporaine.
Ce qui reste
Jusqu'au 21 septembre 2025 au Musée municipal Paul-Dini (Villefranche-sur-Saône) ; de 0 à 6€