Prune Nourry et la pensée au bout des doigts

Publié Mardi 23 septembre 2025

Sculpture / À la Fondation Bullukian, la plasticienne parisienne présente une exposition tactile et méditative, conçue comme un parcours en trois temps où se conjuguent éthos personnel et horizon collectif.

Dès la cour d'honneur, une tête craquelée accueille le public. Fragmentée, scarifiée, elle établit la tonalité d'une traversée où la matière se fait peau. Ce prologue monumental apparaît d'emblée comme la colonne vertébrale narrative : le visage fissuré ne relève pas d'un accident mais d'un seuil. Ici se noue la dialectique entre vulnérabilité et puissance, où la blessure fonde la possibilité d'une expérience partagée.

Prune Nourry, Cracked head #4 Yindi, 2020, 130 x 90 x95 cm ©Laurent Edeline

Les strates de l'intime

À l'intérieur, l'itinéraire épouse une alternance de clarté et d'obscurité. Les sculptures, offertes aux mains, ne sont pas seulement des volumes mais des seuils de reconnaissance. Nourry convoque ses projets antérieurs - Terracotta daughters, ex-voto, figures hybrides - comme autant d'étapes d'une biographie transmutée en rituels. Le geste sculptural, prolongement du regard, devient ici un langage haptique, un idiome où la caresse et la faille participent du même élan.

 Prune Nourry, Femme miracle enceinte, 2021, 129 x 70 x 10 cm ©Laurent Edeline

Projet Phénix : l'épreuve nyctomorphe

Puis vient le noir absolu. Dans cette nuit dense s'érigent les bustes du projet Phénix, façonnés à l'aveugle à partir de modèles non-voyants. La céramique, issue de la technique du raku, porte l'empreinte d'un contact sans vue, où le voir s'abolit dans le toucher. Cette dramaturgie convoque en sourdine Jacques Derrida et Jean-Luc Nancy : qu'advient-il quand nos yeux se ferment pour mieux sentir ? Est-ce jour ou nuit, quand le contact devient l'unique horizon ? Ici, la sculpture se fait méditation sur la limite, sur ce point où l'intangible affleure au cœur du tangible.

Prune Nourry, Phénix, 2021 ©Laurent Edeline

Vers un dénouement subtil

La dernière section, intime, referme le parcours sur une autre temporalité reliant l'épistolaire et le tangible. Après le vertige nocturne de Phénix, le retour à l'échelle du geste quotidien agit comme un apaisement. L'empreinte de la main d'Aïcha, une élève de l'INJA-Louis Braille, devient la trace fragile mais persistante d'une ligne de vie, matrice d'un timbre édité par La Poste, surface en relief à parcourir, comme un dernier geste intempestif qui rend inopérant le regard et où le toucher devient présence.

Empreintes par Prune Nourry
Jusqu'au 2 décembre 2025 à la Fondation Bullukian (Lyon 2e) ; entrée libre

Prune Nourry

Pour ce projet inédit, Prune Nourry propose une exposition sensible où chaque œuvre est à apprivoiser par le toucher. En 2016, à l’annonce de son cancer du sein, la sculpteure prend conscience de l’importance vitale, pour elle, du toucher, menacé par les effets secondaires de la chimiothérapie. De cette expérience fondatrice naîtront plusieurs œuvres explorant le corps, la guérison et le rituel, qui seront exposées à la Fondation Bullukian.

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