Stevie in Wonderland

Stevie Wonder

Théâtre Antique de Vienne

ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement

Sur l'Échelle de Jacob des grands compositeurs pop du XXe siècle à l'influence primordiale et éternelle, Stevie Wonder figure en bonne place aux côtés de géants comme les Beatles et Bob Dylan. Non content d'avoir révolutionné la musique soul – et pas que – dans les années 70, ce génie précoce a toujours su, même dans ses moments les moins inspirés, tirer de sa facilité mélodique des dizaines de tubes entrés dans l'inconscient collectif mondial. Un monstre sacré que Jazz à Vienne s'offre en "Extra night". Stéphane Duchêne.

À l'occasion de la mort Michael Jackson, Stevie Wonder rendit à son ancien collègue de la Motown un hommage vibrant et un peu inattendu au milieu de ce concert mondial de sanglots : « Le plus important est l’héritage musical qu’il nous a laissé. Nous devons le célébrer et pas le pleurer. Il ne faut pas tomber dans la négativité. » Puis il joua une version personnelle d'I Can't help it, composée par lui-même pour l'album Bad de Jackson, ainsi qu'I never dream you'd leave in summer et They won't go when I go, deux titres fortement connotés. Quelques jours après la mort d'une autre légende, Bobby Womack, initialement programmé à Fourvière, voilà une phrase à méditer. Lorsque les grands artistes meurent, on les pleure un peu bêtement alors qu'ils nous ont fait cadeau d'œuvres et d'émotions éternelles.

Comme Jackson, Wonder né Stevland Judkins est un rare exemple d'enfant star ayant mieux que vaincu l'adolescence. Car l'enfant de Detroit rendu aveugle par un accident d'oxygénation en couveuse n'est pas seulement prématuré, il est aussi précoce – pianiste à 7 ans, puis batteur et harmoniciste. À 12 ans, "Little Stevie Wonder" est la petite merveille que la Motown de Berry Gordy trimballe pour créer la sensation à moindre coût (2, 50 dollars la semaine). Effet garanti, tout le monde est ébaubi devant ce clone miniature de Ray Charles – qui sortira d'ailleurs un album de reprises de son aîné, c'est dire. À ceci près que dès son quatrième 45t, Fingertips (Part 2), en 1963, il vend 1 million d'exemplaires. Ce n'est pourtant qu'après sa mue, qui n'affectera pas sa capacité à se balader sur trois octaves et demi comme qui rigole, que Wonder explose vraiment : quand le compositeur prolixe se révèle, d'abord dans le respect des méthodes maison (cinq années de tubes culminant avec Signed, Sealed, Delivered, I'm Yours en 1970) puis en se libérant de ses chaînes.

Odyssée musicale

Dès sa majorité, Wonder est en effet le premier artiste Motown à défier un Gordy (le fondateur du label) qui a autant de facilité à défaire les carrières qu'à les faire. Et surtout à avoir gain de cause. Finie la division du travail calquée sur le modèle fordiste où chacun (compositeur, arrangeur, musicien, chanteur) est vissé à son poste de travail : Stevie exige de tout faire lui-même, y compris produire ses disques. Il touche aussi un Graal dont la quête inaboutie a floué tant de musiciens : les droits d'édition de ses propres chansons – il est temps car sur les 30 millions de dollars générés jusqu'ici par ses disques, Gordy en a touché 29. Même Marvin Gaye, autre pilier de la maison Motown, et pourtant un temps beau-frère de Gordy, n'obtiendra pas de tels "privilèges".

Après When I'm Coming From, dernier album soumis au contrat gagnant-perdant signé à ses débuts (mais le premier sous total contrôle artistique), Stevie décoche une série époustouflante de quatre albums plus un, qui sont autant d'étapes d'une odyssée musicale comme il y en eut peu. Sur le bien nommé Music of my mind, il introduit sa révolution, le synthétiseur, et fait exploser les genres. Invente un son crémeux de crooning R'n'B (Superwoman) toujours au bord de partir en quenouille funk (Keep Running) ou en gospel d'amour démoniaque (Evil).

Puis vient Talking Book (1972) et sa pochette mystique : Stevie, pour une fois sans lunettes, assis dans le désert en habits de prophète biblique, comme attendant les Tables de la Loi. L'album s'ouvre par le lumineux You're the Sunshine of my life (bien connu des fans de Sacha Distel et des adhérents Cofidis). Superstition, son premier numéro 1 depuis 1963, y est une bombe qui fait encore des victimes aujourd'hui. En 1973, Innervisions est encore un cran au-dessus, et sur Fullfilling' First Finale, un an plus tard, Wonder ne peut guère aller plus haut.

Il accomplit ce prodige sur Songs in the key of life (1976), voyage aller-retour (un double album) dans une sorte d'Atlantide musicale, un Wonderland où règne un génie divin qui, après avoir eu accès à la lumière, est devenu source de vie (Isn't she lovely ?, ode à la paternité). Gospel, soul, influence renaissance (Village Ghetto Land), space funk (Contusion, de ces morceaux qu'on a entendus mille fois en en ignorant la provenance), soul sauce brésilienne (Another Star, même remarque que pour le précédent) ou irrésistible chair à sample (Pastime Paradise).

Crimes parfaits

Phénomène quasi générique dans l'histoire de la musique pop, la "Wonder inspiration" s’asphyxie dans les années 80. Au point que, dans son roman culte High Fidelity, le mélomane maniaque Nick Hornby pose, avec l'outrance du passionné, la question des « 5 pires crimes contre la musique commis par Stevie Wonder dans les années 80 et 90 ». Dans ces « crimes » parfaits figurent pourtant certains de ses tubes les plus populaires, qu'il s'agisse de son irrésistible scie reggae Master Blaster, dédiée à Marley, en 1980 ; d'Happy Birthday, hommage à Martin Luther King qui polluera bien des anniversaires surprises ; d'I just called to say I Love you (sur la BO de The Woman in Red qui lui vaut quand même un Oscar) ou de Part-time lover (numéro 1 partout dans le monde).

La Merveille est aussi très demandée pour toutes sortes de collaborations (un coup d'harmonica par-ci, par-là) et duos tels Ebony & Ivory avec McCartney (hilarant clip où Macca se fait surprendre plus d'une fois à tenter de capter le regard perdu de son partenaire). Tout juste évitera-t-il – pour des raisons d'emploi du temps – de participer à l'écriture de la guimauve tiers-mondiste We are the world, signée Bambi et Yoyo Ritchie mais sur laquelle il viendra ahaner la mauvaise bonne conscience américaine au milieu d'une invraisemblable ratatouille de légendes certifiées et de has-beens (parfois les deux à la fois). Le fait est que Wonder y a toute sa place en première ligne, bien plus que la plupart de ses pairs, lui qui n'a pas attendu les barnums du charity business pour s'engager politiquement sur de nombreux fronts – on lui doit notamment la création du Martin Luther King Day aux États-Unis.

Wonderlove

Alors, « a-t-on le droit de reprocher à un génie les fautes de goût de sa fin de carrière ? » poursuit Hornby dans High Fidelity. Après tout, ne lui épargne-t-on pas généralement ses approximations de jeunesse ? Musicalement, c'est vrai, Wonder a montré comme tant d'autres que le talent est éternel mais le génie souvent fugace, se reposant sur ses légendaires lauriers en forme de tresses perlées, son éternel sourire et une facilité mélodique étourdissante lui permettant la roue libre créative. Souvent opposé à un Sly Stone ou un Marvin Gaye, soulmen torturés, il a toujours, même dans ses phases les plus innovantes, privilégié, tel un Macca black, la mélodie, la lumière, la puissance d'évocation de l'élégie et de l'acceptation à celle de la révolte ou du repli autistique.

Et si l'aura du musicien, l'un des plus influents de la fin du XXe siècle, n'a jamais baissé d'intensité (voir la sensation de son passage aux Grammy Awards 2014 avec les Daft Punk et Pharrell Williams), c'est que Wonder a de fait toujours cherché et, même dans ses temps faibles, est toujours parvenu à rayonner. Peut-être, c'est à voir, parce que sa condition l'a conduit inconsciemment à explorer de l'intérieur sa face lumineuse et à vouloir à tout prix l'extérioriser en ouvrant grand les portes de son âme. Ou, d'une façon plus triviale, à donner de l'Amour – ce « Wonderlove » dont il baptisa un temps son groupe – sans doute conscient qu'avec "l'héritage musical", il est tout ce qui reste quand le génie s'est évaporé.

Stevie Wonder, lundi 14 juillet à 20h, au Théâtre antique de Vienne

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