Petite Poissone : « Je ne me considère pas comme une street artiste »

Portrait / Cette Grenobloise de 42 ans colle textes percutants et dessins faussement naïfs dans les rues de Grenoble, Lyon, Marseille ou encore Paris. On lui a taillé le portrait.

Elle l’a même collé dans la rue. « Je ne suis pas un street artiste, je suis un être humain. » Petite Poissone refuse de rentrer dans une case. De ne limiter son art qu’à un seul médium. Elle l’exerce partout, aussi bien sur des murs que des objets, des toiles immenses ou des livres. Elle aime le monde du street art mais pas son effet de mode. « Le street art, c’est un truc magique qui fait que même si tu dessines mal, il suffit que tu dessines 544 fois mal sur des murs pour que ça devienne génial. Un peu comme ces cours de zumba dans les stades : tout seul tu serais ridicule à faire ces mouvements, mais vu que vous êtes 10 000, ça a l’air trop cool. Je ne me considère pas comme une street artiste, mais j’aime ce milieu, son esprit, indépendamment de ce que la mode peut en faire. »

Chez elle, le texte est indissociable du dessin. Elle écrit, dessine, peint, crée ses propres supports. Toute petite déjà, elle réalisait des fanzines, caricaturait ses profs et camarades. Avec un humour absurde, savant mélange de ses mentors : Woody Allen, Gotlib, Hermann, Glen Baxter, les Monty Python. « J’ai été élevée dans la BD, et particulièrement marquée par Jeremiah d’Hermann, puis un peu plus tard par les Rubricabrac de Gotlib. Ç'a été mon coup de cœur : ça fourmillait de détails, tout était pensé, je pouvais les relire mille fois, je ne m’en lassais jamais. J’avais huit ans. Un peu plus tard, j’ai découvert Fluide Glacial, évidemment trop érotique pour moi à l’époque, mais j’étais émerveillée par le ton. C’était le royaume de la connerie autorisée. »

« Des textes immensément absurdes »

Elle a fait psycho, s’est demandée si elle n’exercerait pas son art dans le milieu du tatouage, a opté pour une école de design graphique, fait des stages, alterné entre salariat et freelance, continué entre temps à noircir son carnet de dessins et phrases dans les transports en commun et quand elle s’ennuyait, refusé encore une fois de rentrer dans une case. Elle n’aime pas la routine, les choses qui se répètent, les cases, justement. Elle aime lire les BD, pas les faire. « Ça voudrait dire construire des cases, les remplir, dessiner tout le temps le même personnage, je ne peux pas m’astreindre à un truc si répétitif. »

Elle aime la dérision, maîtrise l’autodérision, ne calcule rien, fonctionne au feeling, ne s’interdit absolument rien et s’amuse de tout : des paroles de chansons qu’elle réarrange à sa sauce, du patriarcat qu’elle exècre, de ses histoires d’amour foireuses, de l’absurdité de la vie qui la fascine. Ses textes sont profonds, son ton léger. « Aucun sujet n’est prémédité. Je colle dans la rue des extraits de mes car­nets, dans lesquels j’écris et dessine sur les choses qui me touchent : peu importe donc au départ qu’elles soient personnelles, amoureuses, politiques, indignées, légères ou engagées. »

Elle veut faire sourire les gens dans la rue. Qu’un texte loufoque, qui n’a pas lieu d’être là, soit là. Créer du décalage. Et ça fonctionne. Quand elle dégaine sa pochette à stickers qu’elle a (presque) toujours dans son sac, les gens sourient. « Je veux continuer à faire des textes immensément absurdes sur des grands murs, et aussi que partout dans la rue, on parle de moi, que les hommes soient nus et se jettent sur moi » s’amuse-t-elle.

Elle colle ses punchlines dans la rue un peu partout, quand elle le sent et du moment que la surface est lisse (elle a développé un mini-toc, elle caresse souvent les murs) : sur une vieille vitrine, une boîte aux lettres, un trottoir, un poteau électrique, un mur… « L’esthétique des lieux est très importante pour moi, mais aussi et surtout le moment, l’instant présent, carpe diem, tout ça. Il faut que je sois avec les bonnes personnes au bon endroit, exactement le bon taux d’alcoolémie et que mes talons n’aient pas complètement trucidé mes pieds en chemin, ce qui explique que j’ai collé à peu près 23 textes en cinq ans. » Quand elle a commencé à coller dans la rue, en 2011, elle pensait le faire deux ou trois fois, comme ça, paf, au pif. Elle a eu de bons retours, redonné le sourire aux gens. Elle a décidé de continuer.

« Le surnom le plus pourri qui soit »

« Il me semble qu’il m’a fallu choisir le surnom le plus pourri qui soit pour que les gens ne placent pas d’emblée trop d’espoir en moi, et pouvoir m’assurer que quoiqu’il advienne dans ma vie, je ne sois pas en mesure de me la péter en société. Non, en réalité, j’ai créé mon premier site internet en pleine nuit et je souhaitais un autre nom de domaine que celui de mon nom et prénom. J’ai acheté un nom pour rire, en attendant de trouver un vrai nom de graphiste. J’aurais pu m’appeler Crayon Papier Ciseau aussi. Bref, j’ai gardé Petite Poissone. Parfois, ce que tu fais en dilettante, c’est ce que tu fais de mieux. »

Comme lorsqu’elle a détourné les paroles de la célèbre chanson Capri, c’est fini d’Hervé Vilard, en 2013. « Nous n’irons plus jamais où tu m’as dit je t’aime » est devenu « Nous n’irons plus où tu m’as dit ta gueule ». Le chanteur a posé à côté et posté une photo sur les réseaux sociaux. « À mon message de remerciement gêné, il a répondu magnifiquement par des encouragements à continuer quoi que je fasse, au nom de l’art et de la liberté ; nulle part n’était fait mention de mon incommensurable talent. J’étais quand même super émue. Un mois après, nous nous sommes croisés dans Paris. Je me suis présentée timidement, il m’a tenu les épaules et il a dit : qu’elle est belle, Petite Poissone, qu’elle est belle. Et il est parti. Et c’est vrai que je suis une bombe ! »

Petite Poissone rit d'elle-même, de tout. De Jean-Claude ravi d’avoir vendu autant de pin’s pendant la campagne présidentielle, de Josette qui vit une vie tranquille et dont tout le monde se fout, de Jean-René qui carbure aux amphétamines pour faire genre en société (et qui ne se rend pas compte à quel point ça se remarque, et ô combien il est ridicule), de Marine et des Balkany qui enfument tout le monde, et de l’hypocrisie de Jean-Michel face à ses employés. Des textes qui ravigotent sévère.

Repères

1976 : Naissance à Rives, près de Grenoble

1999-2001 : Beaux-Arts de Caen

2011 : Début de ses collages

2017 : Exposition Irrévérence : premières pièces de la série "objets", premiers textes féministes, Ancien Musée de Peinture, Grenoble

Juin 2018 : Parution du livre Je ne suis pas une street artiste chez Critères Éditions, dans la collection Opus Délits (volume 81)

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