Moly Sabata, lieu sacré de la création

Escapade / À l’occasion de la belle expo du musée de l’Ancien Évêché, Vivre le cubisme à Moly Sabata, nous sommes allés visiter cette résidence d’artistes située à la lisière de l’Isère, de la Loire, de l’Ardèche et de la Drôme (tout ça). Un lieu qui nous a fait forte impression.

C’est loin. Une bonne heure de route de Grenoble et toute la Bièvre à traverser pour atteindre cet endroit hors du temps. Qualificatif galvaudé, on l’esquive en général, mais ce coup-ci il n’y en a pas de plus juste pour décrire le sentiment qui nous prend lorsqu’on atteint les berges du Rhône, en toute limite du département, et qu’on franchit le portail de la résidence Moly Sabata. Une superbe maison dans laquelle Albert Gleizes, fameux peintre cubiste, a commencé à accueillir ses disciples en 1927. Presque un siècle de création artistique qui a imprégné profondément ces murs. Aujourd'hui la communauté n'existe plus, mais le lieu, toujours dédié à la création, accueille une trentaine de résidents chaque année. Aujourd’hui, trois jeunes gens créent dans leurs ateliers respectifs. Yoel Pytowski travaille sur des installations qui visent à « créer un sentiment ambigu entre lieu de construction et chantier de démolition », à questionner sur « la pérennité de l’architecture ». À côté de lui, Angyvir Padilla étudie et reproduit les symboles du monde paysan d’antan : un œuf pour protéger sa demeure, des assemblages de fleurs sauvages, autant de précautions et de superstitions païennes oubliées.

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De l’autre côté de la cour, dans un atelier-appartement avec vue sur le fleuve, la peintre Emmanuelle Rosso prépare une expo dont le fil rouge est la couleur "laque de garance", un rose aux possibilités infinies, nous prouve-t-elle. Ce jour-là, Moly Sabata fourmille : la voisine passe raconter le stage de peinture qu’elle a suivi ici la semaine d’avant, des professionnels de l’art contemporain visitent les lieux, des journalistes sont guidés de pièce en pièce. Mais en dehors de ces rendez-vous ponctuels, Moly Sabata est un lieu fermé et studieux. On a tout de même le sentiment que le sérieux de la création artistique a été troublé, de loin en loin, par d’inoubliables fêtes, des émotions fortes, une spiritualité hédoniste, des expériences humaines et artistiques. Dans la petite boutique, on tombe sur un livret de photos en noir et blanc pleines de gens nus et hilares ; on reconnaît, dans les bras d’un homme au pénis apparent et au visage masqué, la sculpture en céramique croisée dans le jardin une minute plus tôt. Parmi les œuvres qui peuplent le petit domaine, des fils rouges : le lien fort avec la nature, l’aspect utilitaire, une certaine gaieté. De l’art visuel qui n’est pas en quête de concept. « On ne fait plus spécialement de cubisme, on n’est pas gleziens, mais cette gourmandise de couleurs se retrouve encore aujourd’hui », commente Joël Riff, commissaire d'exposition qui a rejoint Moly Sabata en 2014. Il décrit un questionnement permanent sur « l’usage des œuvres. Dans cette pièce par exemple, les rideaux ou les coussins sont des œuvres ». Le beau et la distinction sont partout dans cette maison à demi vide, dont les sols sont encore protégés depuis le dernier stage de peinture à l’huile qui s’y est tenu. On croise un service à thé complet en céramique, signé Anne Dangar, l’un des grands noms de Moly Sabata (la potière y a vécu 20 ans), historiquement très portée sur le travail de la terre. Ce service a été offert à la résidence par la communauté Emmaüs toute proche, qui s’est aperçue qu’il était bien davantage qu’un simple assortiment de vaisselle en terre à vendre quelques euros. Les compagnons seront, en remerciement, bientôt invités à découvrir le lieu et sa mission : « Sensibiliser au fait qu’une œuvre ne surgit pas de nulle part. »

Les abeilles du rucher bourdonnent, le soleil affaisse ses rayons sur la surface du Rhône. Sablons est calme. Les artistes qui ont accueilli tout ce monde durant la journée portes ouvertes retournent à leur ermitage créatif. On peine à quitter ce lieu qui met l’art au centre de tout, pour revenir à la circulation, à la ville et au prix de l’essence. Guettez : en septembre, une nouvelle ouverture au public est prévue, à l’occasion d’une exposition. D’ici là, rendez-vous au musée de l’Ancien Évêché qui consacre une superbe exposition à l’essence de Moly Sabata, le cubisme.

Millefleurs vendredi 15 juillet vernissage de l'installation végétale Sur le chemin des fleurs de Clément Bouteille, prélude à l'exposition Millefleurs, qui sera inaugurée le samedi 17 septembre

 

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