Le film coup de cœur / Comédie politique, enquête intime, film d'anticipation, rom-com... Bel objet cinématographique porté par une distribution idéale (dont les "amies fâchées" Ariane Labed et Souheila Yacoub), la première incursion derrière la caméra d'Alice Zeniter, en binôme avec Benoît Volnais, croise plusieurs genres et emporte tous les suffrages.
Paris, dans un futur immédiat assommé par la canicule. Directeur de campagne d'une candidate à la députation de gauche, Tristan reçoit une lettre anonyme contenant un test de grossesse positif. Le trentenaire est d'autant plus catastrophé par la missive qu'il a eu plusieurs partenaires dans les mois précédents et qu'il se sait potentiellement porteur d'une maladie dégénérative héréditaire ayant emporté sa mère. Avec l'aide de sa colocataire Fanny, Tristan engage une enquête personnelle : s'agit-il de la stagiaire, d'un coup d'un soir, de leur amie commune Pablo... ou de quelqu'un d'autre encore ?
Encensée dans ces mêmes colonnes il y a quelques semaines pour sa prestation théâtrale dans sa propre pièce Je suis une fille sans histoire actuellement en tournée, mais aussi pour ses talents de romancière (L'Art de perdre, Juste avant l'oubli), Alice Zeniter ajoute donc ici une corde à un arc déjà bien tendu : scénariste-réalisatrice. Gageons qu'elle en tirera des contempteurs (les gens talentueux agacent) mais surtout qu'elle y gagnera des zélateurs supplémentaires – elle en possède déjà d'inattendus à l'instar du ministre de l'Intérieur, à qui elle a demandé sur Twitter en retour « asile inconditionnel pour les Afghanes, dissolution de la Brav M, abrogation de la loi sur le séparatisme, démission ». Loin d'être anecdotique, cette apostrophe fait écho à un film pétri de questions politiques et sociétales : Naïma, la candidate dont Tristan est le bras droit, déroule dans les médias ou face à ses adversaires, un programme concret qui pourrait à 100% être validé par un parti de gauche actuel. Reste toutefois à trouver quelqu'un pour l'appliquer...
Enquête interne
Il y a du Dédalus version Desplechin chez Tristan : ses atermoiements sentimentaux mâtinés d'hypochondrie et de lâcheté maladroite font de ce personnage incarné par Niels Schneider l'axe égoïstement fragile d'une histoire dont il n'est, en définitive, que le germe, un prétexte. Au fil des chapitres du film, c'est son rapport au monde, à son absence de conscience à l'autre – un peu embarrassant lorsque l'on est censé s'investir dans un engagement citoyen – qui se trouve disséqué. Chaque piste suivie donne lieu à une saynète révélant un aspect médiocre de sa personnalité (à sa décharge, il prend cher...), et l'occasion pour une mosaïque de protagonistes, principalement féminines, de livrer leurs états d'âme sur la vie, la solitude, la vieillesse, le sexe, la parentalité, l'avenir... Plus efficace qu'un cahier de doléances destiné à pourrir dans un placard élyséen.
Pièce maîtresse (sans mauvais jeu de mot) ou de résistance d'Avant l'effondrement, le face-à-face entre Pablo et Fanny se révèle une authentique séquence d'action dont les uppercuts seraient verbaux. Déroulant chacune leur dialectique aussi politique que personnelle, les duellistes argumentent ; l'une dans le sens d'un nouveau modèle de société intégrant l'inéluctabilité de l'effondrement ; l'autre démontant sa posture de bobo-néo-rurbaine hors de l'action concrète (et surtout bénéficiant en secours du dodu matelas familial).
Le réquisitoire de chaque côté, des plus étoffés et parfaitement équilibré, offre au public de 2023 l'équivalent de la légendaire "séquence du gigot" de Vincent, François, Paul... et les autres de Claude Sautet (1974), où des personnages se trouvent confrontés au hiatus entre ce qu'ils affichent ou professaient hier et ce qu'ils sont devenus. Avec une différence de taille : des femmes trentenaires se substituent ici aux mecs quinquas d'il y a un demi-siècle. Paradoxalement, si ce brillant règlement de comptes idéologique souscrit en apparence au premier degré à tous les critères du test de Bechdel, son sous-texte implicite permet de supposer que les deux anciennes amies vident une querelle dont Tristan – témoin muet de la scène et avec lequel elles ont toutes deux partie liée – est indirectement la cause. La jalousie, camarades ?
★★★★☆ De Alice Zeniter & Benoît Volnais (Fr., 1h40) avec Niels Schneider, Ariane Labed, Souheila Yacoub... En salle le 19 avril