Subventions de la Région : plusieurs événements menacés à Grenoble après de nouvelles coupes

Politique culturelle / La première salve des subventions de la région Auvergne-Rhône-Alpes a été votée le 12 mai. L’institution valorise des hausses importantes accordées aux festivals. Pour le reste, les baisses de l’an dernier sont confirmées, et de nouvelles coupes budgétaires entérinées. À Grenoble, le concours de danse Podium, le festival Regards Croisés ou encore le Festival du film court en plein air sont en péril. On fait le point. 

L’ambiance est fébrile. Les votes des subventions culture de la Région pour 2023 sont attendus avec impatience, après les coupes brutales de l’an dernier. Le cas de Joris Mathieu, directeur du Théâtre Nouvelle Génération à Lyon, qui a vu sa subvention s’envoler après avoir critiqué ouvertement la politique régionale, a fait beaucoup parler. Et augmenté d’un cran les craintes des acteurs culturels qui se sont le plus exposés à l’encontre du président de la Région.

Cette dernière a communiqué sur son soutien renforcé à certains festivals : Jazz à Vienne voit son enveloppe passer de 150 000 à 170 000 euros. Le soutien à Musilac, qui se disait au bord de la faillite l’an dernier, bondit de 50 000€ à 220 000€. La dotation des Nouvelles Rencontres de Brangues, dans le Nord Isère, passe de 12 750 € (elle avait été coupée d’environ 15% en 2022) à 35 000 €. Et dans un sens comme dans l’autre, la Région ne fournit jamais de réelle explication sur ses arbitrages. « Dans les faits, avec cette institution comme avec d’autres, vous ne savez jamais vraiment pourquoi votre demande de subvention est satisfaite – ou pas, d’ailleurs », indique Jérôme de Lignerolles, chargé de coordination pour le festival de Brangues. Pour autant, cet événement correspond au motif invoqué par la Région depuis l’an dernier : rééquilibrer le budget en retirant aux zones urbaines pour renforcer les zones rurales. « Des subventions montent, mais d'autres baissent ; on construit des choses avec une réelle incertitude budgétaire. Néanmoins, cela va nous donner un peu de souffle. »

« Si un homme tout seul peut décider d'instrumentaliser la culture sans que personne n'y puisse rien, c'est qu'il y a un problème. »

Renforcer les dotations aux territoires ruraux, « c’est factuellement faux », rétorque le député EÉLV de l’Isère Jérémie Iordanoff qui a signé, avec d’autres parlementaires (pour les Isérois, le sénateur Guillaume Gontard et la députée Cyrielle Chatelain), un courrier adressé à la ministre de la Culture pour dénoncer « une conception féodale et autoritaire du pouvoir » à la Région. « Sur la culture, il sort du consensus très ancien entre gauche et droite, qui dit qu'elle doit être préservée de l'alternance. » Pour le député, cela indique peut-être qu'il est temps de revoir les modes d'attribution de ces subventions. « Si un homme tout seul peut décider d'instrumentaliser la culture sans que personne n'y puisse rien, c'est qu'il y a un problème. » Selon le courrier des parlementaires, la baisse globale de 4 millions d'euros l'an dernier se creuse avec 800 000€ de moins en 2023. Mais nous sommes à mi-chemin.

« C’est une catastrophe ! »

Une première salve de subvention aux acteurs culturels a été votée le 12 mai. Certaines structures voient de nouveau leur dotation baisser. En Isère, c’est le cas du collectif Troisième Bureau, dont le festival Regards Croisés vient de s’achever. Coup dur. « En 2021, on avait 21 000€ de la Région. En 2022, on a reçu 17 850€. Ça devait être provisoire. Et là, on descend à 8000€, sans aucune explication. On apprend ça à quelques jours du lancement du festival », lâche Bernard Garnier. « Ça fait plus de 60% de baisse au total. » Conséquences ? Il soupire. « On va tâcher d’être inventifs, travailler ensemble. Mais ça met un gros coup. Le festival tel qu’il existe, on ne pourra pas le faire l’année prochaine. »

Assommoir aussi pour la Cinémathèque de Grenoble. Depuis 2021, l’enveloppe consacrée par la Région au Festival du film court en plein air a dégringolé de 22 000€ à… 9000€ cette année. Là aussi, « c’est moins 60% en deux ans. Une baisse énorme, qui nous a été annoncée à six semaines de la 46e édition du festival. Sans aucun avertissement, même si on savait que ça n’irait pas vers une amélioration », commente Anaïs Truant, déléguée générale de la Cinémathèque. « Pour cette édition, ce sera très dur car beaucoup de lignes budgétaires sont déjà engagées. On ne pourra accueillir aucun réalisateur, c’est une catastrophe. Même dans le pire des scénarios on ne s’attendait pas à ça. Nous sommes dans une situation de crise, et le festival de l’année prochaine est en péril. » À Clermont-Ferrand, le Festival international du court-métrage a vu sa subvention diminuer de moitié. Des choix d'autant plus incompréhensibles, pour Anaïs Truant, « quand on voit l'argent que la Région met dans la production de courts-métrages. » Ce format de films n'a que peu d'espaces de diffusions, les festivals sont le principal moyen de toucher le public.

Finalement, ce n’était pas temporaire

Chez ceux qui sont restés au même niveau que l’an dernier, après coupes donc, ce n’est pas la joie non plus. « Dans le courrier de l’an dernier, il était écrit que c’était provisoire », se souvient Marie Roche, directrice du Pacifique CDCN, dont l’enveloppe régionale avait baissé de 33% l’an dernier. Outre le « rééquilibrage », l’argument d’un fonds d’urgence Covid avait été avancé par la Région. « On s’apprête à avoir une année 2023 déficitaire. Ce manque d’anticipation est catastrophique. Cela se traduit par moins de créations, moins de représentations. Et cela remet complètement en cause l’organisation du concours Podium. Il devait avoir lieu en 2023, mais on n’a plus les moyens de l’organiser. Or, nous, ça représente quasi 50% de notre fréquentation… »

À La Rampe, Joséfa Gallardo est perplexe. « C’est compliqué de ne pas comprendre. Ou alors de trop comprendre… » Le nombre de spectacles sur la scène d’Échirolles diminue la saison prochaine. « C’est tout l’écosystème qui est touché, les emplois, les artistes. » L’Espace 600, à Grenoble, garde sa dotation de l’an dernier, donc amputée de 10 000€ par rapport à 2021. « On n’a pas besoin de ça. Ça ne paraît pas beaucoup, mais pour une structure fragile comme la nôtre, ça nous fait boîter. On reste précaires, et tout ça tient sur l’énergie d’une équipe jeune », commente Anne Courel, la directrice de cette scène spécialisée dans le jeune public.

« C’est du provincialisme à la Pétain »

Outre les choix politiques, c’est la manière et le timing qui sont aussi en cause. Comment construire un budget quand on ignore quel sera le montant de ses subventions ? Et pourquoi les tentatives de discussions et d’échanges se heurtent à un mur ? Membre de la commission culture de la Région, le socialiste Stéphane Gemmani décrit les réunions : « Ils énumèrent ceux qui seront ou ne seront pas dotés. Les choix sont déjà pliés, puis les votes se font en deux minutes. La vice-présidente culture est complètement sous la dictée de Laurent Wauquiez, et elle n’est pas la seule », assure le conseiller régional. « Il rééquilibre que dalle ! Les MJC, les associations, les structures… S’ils ne sont pas dans les bonnes villes, s’ils n’ont pas fait allégeance, ils seront sanctionnés. Il déteste les grandes villes, alors que c’est un Parisien pur et dur. C’est du provincialisme à la Pétain. »

Stéphane Gemmani sait-il, lui, où sont partis les 4 millions d’euros économisés sur la culture l’an dernier ? Et qui a bénéficié du fond d’urgence Covid ? « Le fonds Covid, ça a été du pipeau. Et les 4 millions, aucune idée, on n’arrive pas à savoir. Quand on pose les questions en commission, on nous dit « faites un mail », et on n’a jamais de réponse. » Pour l’élu, la volonté de Laurent Wauquiez, « c’est de précipiter certains à se casser la gueule. Ce qui diminuera d’autant les besoins en subventions l’an prochain... »

Climat malsain

Les syndicats du secteur font front commun pour faire bouger les choses. « Ça fait plusieurs années, en réalité, que le dialogue est complexe avec la Région », souligne Gautier Marchado, du Synavi (Syndicat national des arts vivants). « On sent une volonté d’avancer seul. Tandis que nous, partenaires sociaux, sommes demandeurs d’un dialogue constructif, sur la politique culturelle dans sa globalité. On est déjà dans un appauvrissement des artistes, en matière de salaires, de conditions de travail… »

Bouba Landrille Tchouda, représentant isérois du Syndeac (Syndicat des entreprises artistiques et culturelles), confirme. « Personne ne peut dire à la Région comment elle doit utiliser ses fonds. Mais il y a un principe républicain de dialogue. Là, c'est un remake de ce qui a été fait l'an dernier. Cet exécutif passe son temps à mentir et à nous tromper. Et apprendre aux gens qu'on va leur couper la tête dans la presse, ce n'est pas une façon de faire. On a l'impression de ne pas exister... » L’intersyndicale s'organise pour tenter de faire bouger les choses, mais les alertes dans la presse et les tribunes semblent n'avoir que peu d'effets sur l'exécutif régional, tout comme les commentaires de la ministre de la Culture. « On ne baissera pas les bras, mais ça n’est pas simple. » L’arbitraire des décisions nourrit une ambiance délétère. « Diviser pour mieux régner », résume Bouba Landrille Tchouda. Entre ceux qui ont bénéficié de hausses et font profil bas pour ne pas susciter de rancœurs ; ceux qui ont été coupés sans explication, sans concertation, en plein milieu de saison ; et ceux qui attendent la prochaine assemblée plénière de la Région...

En Isère, les structures qui attendent le vote de fin juin sont nombreuses, et pas des moindres : la MC2 – dont le directeur a constitué son budget en se basant sur une subvention revenue au niveau de 2021 –, les Détours de Babel notre cas est incertain, mais on reste confiants », indique Pierre-Henri Frappat, très prudent), ou encore le Centre des Arts du Récit. Mais aussi Mens Alors !, Musiques en Vercors, L'Observatoire des politiques culturelles...


La Région répond

Contactée, la Région affirme porter « une attention toute particulière aux territoires éloignés des grandes institutions culturelles, concentrées dans les grandes aires urbaines de notre région ». Elle évoque un nouveau dispositif, "culture en territoire", destiné au communes de moins de 10 000 habitants et aux EPCI de moins de 120 000 habitants.

Quant on cite les structures rurales touchées par des baisses de subventions, elle répond : « L’objectif est aussi d’augmenter le nombre de structures aidées : en 2015, par exemple, la Région n’accompagnait que 300 festivals par an, elle en soutient, aujourd’hui, plus de 500 chaque année. » Sur le fonds de soutien lié au Covid, elle affirme que 3, 7 millions d'euros ont été distribués l'an dernier à plus de 900 structures en difficulté. Enfin, sur les délais d'attribution, la Région se dit « bien au courant des difficultés rencontrées par les filières artistiques. Notre Vice-présidente, Sophie Rotkopf, échange régulièrement avec les acteurs et comprend leurs attentes. Bien sûr, aujourd’hui, tout n’est pas parfait et la Région entend progresser sur le calendrier d’attribution des subventions ».

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