La Région AURA et la culture, bras de fer au sommet

Après des mois de silence, la Région AURA prenait enfin la parole en matière culturelle, via Sophie Rotkopf le vendredi 28 avril. La suppression totale de la subvention du TNG a éclipsé la politique que Laurent Wauquiez compte mener à destination des festivals. Retour sur cette conférence de presse lunaire, ses conséquences et premiers aperçus des arbitrages votés en assemblée plénière le 12 mai prochain.

Un dessin dans le Canard enchaîné, un sujet dans le 13h de France Inter, des articles dans Télérama, Libération, Le Monde, Sceneweb et même Le Point, et tant d’autres titres locaux : tous ont rendu compte de la conférence de presse de Sophie Rotkopf,  qui s’est tenue le vendredi 28 avril au siège de la Région Auvergne-Rhône-Alpes. Cinq jours plus tard, la vice-présidente à la Culture de Laurent Wauquiez « n’est pas surprise » pour ce déluge d’échos dans la presse mais trouve « dommage » que les médias n’aient retenu que la coupe de subvention à l’égard du TNG alors que, nous redit-elle lors de l’inauguration de l’installation Bleu aux Subs (structure à qui elle a supprimé 150 000€ de subvention en 2022), « nous déployons 1, 3 M€ pour les festivals ». Difficile pourtant de faire autrement tant ce rendez-vous au siège de la Région fut expédié (30 minutes avant les questions, expédiées aussi). Se tenaient à ses côtés ce jour-là les directeurs et directrices de deux festivals en Rhône-Alpes (le Printemps de Pérouges qui s’installe, pour une « expérience festival » (sic) dans le parc de Saint-Exupéry à Saint-Maurice-de-Rémens en passe de devenir un musée piloté par la Région, et Musilac dont la subvention passe de 50 000€ à 220 000€ !) et deux en Auvergne (festival Ambert dans le Puy-de-Dôme et le Madcow dans le Cantal, tous deux voient leurs subventions progresser), la parité concernant ses deux ex-régions étant visiblement très importante alors même que la première compte huit départements et la seconde deux fois moins.

120 lignes d’augmentation sur les festivals

Au total c’est « plus de 120 lignes d’augmentation sur les festivals » annonce-t-elle avec un budget culturel « sanctuarisé » à hauteur de 60 M€ (il avait été amputé de 17% l’an dernier). Plaidant un « rééquilibrage territorial et entre les esthétiques (patrimoine, spectacle vivant, arts plastiques, formation, éducation artistique et culturelle, industries culturelles…) », elle rappelle aussi d’emblée que les « subventions ne sont pas un dû, on n’est pas une rente ». Personne ne l’aurait contesté mais le manque de transparence avec lequel ses subventions sont dispersées interroge le milieu culturel depuis deux ans, début du deuxième mandat de Laurent Wauquiez qui a alors évincé celle qui s’était pourtant fait respecter de ce même milieu, Florence Verney-Carron

Déjà en juin 2022, 500 membres directeurs et directrices de salles, acteurs et actrices, auteurs et autrices, metteurs et metteuses en scène, syndicats de tout le territoire se mobilisaient faute de concertation et demandaient un rendez-vous à l’élue. En vain. C’est pourtant avec l’argument d’une « main tendue que Joris Mathieu n’a pas su prendre » que Sophie Rotkopf sanctionne le TNG, alors qu’elle n’est venue à aucun comité de suivi du théâtre rappelle le directeur, et lui retire la totalité de ses 149 000 €, soit 6% de son budget, les CDN étant des structures majoritairement financées par l’État (26 000 € avaient déjà été retiré en 2022).

Plus encore, c’est la tribune publiée par Joris Mathieu qui a irrité au plus haut point l’exécutif régional. Le 18 avril, sur le site du Syndeac (syndicat des entreprises artistiques et culturelles), dont il est élu au bureau national, il affirme, en titre, que la Région est « gouvernée par la peur », pointant des « dérives autocrates manifestes » par son « absence totale de concertations avec les organisations professionnelles », en « remettant en cause la co-construction de la politique culturelle avec les autres collectivités et l’État » et avec des « coupes massives de subventions en cours d’exercice ». Il reconnaît là un « système » : « déstabiliser. Inquiéter. L’objectif est atteint. Car tel est réellement le projet. Faire ressentir aux acteurs concernés qu’ils sont à sa merci. Et semer du désordre pour prendre le contrôle ». L’opacité fait politique et Joris Mathieu de rappeler que « la région n’investit que 8, 44€ dans la culture par habitant et par an, alors que la moyenne nationale, sur l’ensemble des régions, est de 12€ ». Deux jours plus tard, dans une interview accordée à Télérama, il réaffirmait ses propos et questionne sur les 4M€ de coupes de 2022, « comptablement parlant, c’est bien quatre millions d’économies qui ont été réalisées en 2022 et non un rééquilibrage ».

L’opposition fustige cette communication

Cette cinglante missive est consécutive notamment au retrait au dernier moment du budget de la culture lors de la commission permanente de mi-mars, reportée à une date ultérieure. Ce sera le 12 mai alors que plus d’un quart de l’année est engagée. La plupart des acteurs culturels ne savent pas à quelle sauce ils seront mangés. Le festival circassien lyonnais UtoPistes a reçu une notification en avril pour lui signifier qu’il aurait bien 17 000€, comme pour l’édition précédente, sans aucun commentaire. Ils sont toujours en attente de savoir si la compagnie organisatrice, MPTA, aura 40 000€ comme l’an dernier. Cette subvention serait maintenue comme « 95% d’entre elles » selon ce que l'on nous déclare à la Région. Mais la coupe opérée l'an dernier ne serait alors pas comblée.

L’opposition fustige la forme de cette communication autant que le fond : « la conséquence de cette méthode, c'est une paralysie du développement des projets artistiques et un accès à la culture qui va reculer pour la population, sur tous les territoires et sans distinction. Laurent Wauquiez doit cesser de considérer les subventions de la Région comme de l'argent personnel qu'il attribue en fonction de ses calculs politiques et de ses humeurs » affirme le groupe Socialiste, Écologiste et Démocrate au lendemain de cette conférence de presse.

Au final, d’après les montants que nous avons pu consulter, de très nombreuses structures ont effectivement leur subvention 2023 au même niveau qu’en 2022, mais l’absence notamment de la MC2, scène nationale de Grenoble, au menu du vote laisser supposer que cette historique maison de la décentralisation sera malmenée. Lucie Campos, directrice de la Villa Gillet, qui avait vu l’intégralité de sa subvention régionale supprimée l’an dernier nous confiait très récemment que ces retraits sont « incompréhensibles pour nos partenaires » quand les événements culturels devraient être des atouts : « le festival d'Edimbourg est la fierté de toute l'Écosse ». Cette égalité de montants entre 2022 et 2023 entretient paradoxalement la peur dénoncée par Joris Mathieu.

Une pétition a été lancée par une intersyndicale pour dire "Stop à la fragilisation du spectacle vivant et de ses emplois en Auvergne-Rhône-Alpes !" avant le 28  avril ; suite à la punition subie par le TNG, un communiqué unitaire des syndicats et organisations professionnelles d'employeurs et de salariés de la culture est paru le 2 mai pour interroger la « liberté d’expression » possible dans la Région. Et ce 4 mai, ce sont d’anciens ministres, tous les directeurs et directrices de lieux labellisés en théâtre mais aussi d’autres structures non théâtrales et qui engrangent pourtant une augmentation (ou un rattrapage) de subvention en 2023 par la région (+ 10 000€ pour Nuits sonores, passant de 60 à 70 000€ sans toutefois récupérer son niveau de 2021, 75 000€) qui font paraître une tribune dans Le Monde : « le Conseil régional a le droit de trouver son réquisitoire sévère, il peut tenter de lui apporter les démentis qu’il jugera bons. En revanche, il se déshonore gravement en pratiquant la rétorsion comme il vient de le faire. Pis : il vient corroborer de manière éclatante tout ce que Joris Mathieu avait précisément tenté de dénoncer », disent-ils avant de lancer « un appel solennel à toutes et tous les élus de notre pays, quelle que soit leur orientation politique : les principes fondateurs de notre République sont ici concrètement attaqués. Il nous faut, ensemble, défendre urgemment et de façon forte le pacte républicain ». 

Une autre institution auvergnate subit une baisse importante

Carole Thibaut et son administratrice Dominique Terramorsi signent également cette tribune, comme Yuval Pick. Ils sont concernés par les coupes, au motif que « la Région s’aligne sur les baisses de la ville » nous dit l’élue. Sauf que : le CDN (même label que le TNG) des Ilets à Montluçon, un territoire pourtant éloigné de la Métropole lyonnaise qui captait 60% des subventions jusque-là selon Sophie Rotkopf, qui vante ce (bien légitime) “rééquilibrage territorial”, perd la totalité de sa subvention (275 000€) car la municipalité de l’Allier n’a accordé aucun centime au théâtre des Ilets ! En revanche, ce n’est pas tout à fait la même histoire au centre chorégraphique national de Rillieux-la-Pape. Vérification faite, la Ville n’a pas baissé sa subvention de 151 121€ entre 2022 et 2023 mais la Région fait passer la sienne de 195 000€ à 80 000€… Une autre institution auvergnate subit une baisse importante : le Festival du Court-métrage de Clermont-Ferrand. De ses 210 000€ en 2022, il ne reste que 100 000€.

Autres enseignements chiffrés : le GRAME à Lyon subit une baisse de 62% (de 170 600 à 105 000€). Les théâtres des Marronniers et de l’Espace 44, sortis du dispositif Scène découverte l’an dernier, perdent chacun respectivement 7500€ et 5000€ soit la totalité des subsides régionaux qui leur restaient. Les Biennales perdent 50 000€ (après en avoir perdu 253 000 en 2022 — il reste donc une subvention de 450 000 contre 753 000€ en 2021), la MAPRAA voit son apport divisé par deux pour la troisième année passant de 108 000€ en 2021 à 27 000€. D’autres retrouvent un niveau antérieur. C’est le cas pour l’Institut Lumière qui connait une augmentation de 100 000€ pour atteindre à nouveau les 660 000€ de 2021. Gagnants à des échelles plus modestes : AC/RA, lieu d’art contemporain à Lyon (+10 000 soit 43 000€ au total) et, toujours dans la même discipline, Kommet (+ 2000 soit 7000€ au total).

Grand vainqueur de cette opération : l’Opéra de Lyon. « On a tapé dans la main avec Richard Brunel ([NdlR, le directeur] » dit Sophie Rotkopf. Si le deuxième opéra de France avait perdu 500 000€ de la Région l’an dernier (sur 2, 5 M€), elle lui en rétribue 190 000€ pour un projet d’itinérance en Région avec une création par saison commandée à un jeune compositeur. Reste à savoir si c’est une amorce pour ce projet ou si cela couvrira la totalité de l’opération. 

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