Disparition de Marc Artigau

Publié Lundi 25 août 2025

Hommage / Les cinéphiles lyonnais doivent énormément à Marc Artigau. Programmateur historique des cinémas CNP, intarissable puits de culture à la curiosité sans limite, il a montré les œuvres les plus exigeantes avec la plus absolue des passions. Il est décédé le 22 août dernier. Christophe Chabert, ancien rédacteur en chef du Petit Bulletin, a souhaité lui rendre hommage.

Photo : Marc Artigau ©Alain Cavalier

Hommage
Christophe Chabert a été rédacteur en chef du Petit Bulletin à partir de 1997 et c'est (notamment) alors qu'il exerçait ces fonctions qu'il a commencé à fréquenter Marc Artigau. il a souhaité lui rendre hommage dans nos colonnes.

J'apprends ce matin le décès de Marc Artigau, qui fut l'héroïque et passionné programmateur des CNP de Lyon, aujourd'hui Cinémas Lumière.

Marc avait un caractère intraitable et bouillonnant, qui se traduisait par une vitesse d'élocution sidérante, dont le chuchotement était percé par de subites montées de colère. Ces montagnes russes verbales étaient le reflet d'une pensée prodigieuse et d'une personnalité entière, ne cachant jamais ses inquiétudes ou ses emportements.

Il faut dire qu'à l'époque où je l'ai connu - au début des années 2000, alors rédacteur en chef du Petit Bulletin à Lyon et critique cinéma dans ses colonnes - il avait des raisons de se mettre en colère. Les CNP ne cessaient de dériver financièrement. Marc luttait de toutes ses forces, jusqu'à l'épuisement physique, pour rattraper les mauvais coups et maintenir le niveau d'exigence des cinémas qu'il programmait, dont il aimait rappeler l'histoire glorieuse et mouvementée (il n'avait d'ailleurs jamais digéré leur vente). Mais ses efforts étaient peine perdue, et son combat virait à l'obsession.

Marc aimait le cinéma de façon viscérale, et pas comme une activité commerciale. Il lisait tout ce qui s'écrivait sur les films et y réagissait sans cesse, allait tout voir, même les infamies d'évidence destinées aux multiplexes plutôt qu'à « ses » salles, et on le voyait sortir des séances avec un sourire malicieux de chat du Cheshire. Par ailleurs, il tenait à ce que les films qu'il programmait soient vus par les critiques lyonnais, et les projections de presse matinales aux CNP, sans venue d'équipe ou plan de communication, étaient une tradition aujourd'hui définitivement perdue. Il pouvait ne pas être d'accord avec ce qu'on écrivait - et ne se privait pas pour nous le faire savoir - mais il avait un respect absolu pour la liberté de la critique. Il reconnaissait que c'est par le rejet argumenté de certaines œuvres que les éloges envers d'autres peuvent être crédibles. En cela, je ne peux que lui témoigner une gratitude infinie.

Une anecdote : à la sortie de The Host de Bong Joon-ho, je m'étais présenté à une des premières séances au CNP pour le revoir avec un collègue du Petit Bulletin. Arrivés devant le cinéma, Marc se met à nous engueuler. « Vous êtes cons ! Le Comœdia [qui venait de rouvrir ses portes] le passe dans une meilleure salle et si vous vous dépêchez, vous pouvez avoir la prochaine séance ! ». La qualité des films et des projections avant tout, même son propre travail !

Je me souviendrai longtemps des dîners qu'il organisait entre la presse et les réalisateurs au Passage, notamment ceux avec Alain Cavalier, ami et soutien fidèle. Si Cavalier se définit comme un filmeur. Marc, plus qu'un passeur, était un regardeur et un parleur de cinéma - et c'est aussi bien.

So long, Marc...

Christophe Chabert