Cannes 2011 : L'arbre qui cache la forêt

Palme d’or magnifique d’un palmarès discutable, "The Tree of life" de Terrence Malick avait survolé une compétition de très bonne tenue, dont on a apprécié les audaces rock’n’roll finales. Christophe Chabert

On n’osait y croire, même si on en rêvait depuis sa présentation : The Tree of life de Terrence Malick est reparti avec la Palme d’or du 64e festival de Cannes. Joie immense, tant cette œuvre démesurée et intime, qui parle de Dieu mais surtout du rapport de l’homme à la transcendance (rapport essentiellement malheureux, placé sous le signe de la culpabilité), du mystère du cosmos et de la violence des échanges dans le monde moderne, restera comme le sommet de cette quinzaine pourtant riche en bons films. Utilisons la première personne du singulier pour un temps, car que ce soit à la rédaction ou ailleurs (le film, déjà sur les écrans, rencontre un réel rejet de la part d’une partie des spectateurs), tout le monde ne partage pas cet enthousiasme.

Comment pourrait-il en être autrement ? The Tree of life, que ce soit dans sa forme — magnifique, Malick allant au bout de son cinéma du fragment, composant un poème visuel et musical saisissant — ou dans ses interrogations métaphysiques, est loin du divertissement mainstream ou même du cinéma d’auteur consensuel. Mais c’est justement cette exploration personnelle d’un extrême de l’art cinématographique qui rend la démarche de Malick précieuse, au-delà de Cannes, des chiffres du box-office, de l’air du temps. Ceux qui aimeront The Tree of life l’aimeront passionnément et voudront le garder pour eux, comme un livre de chevet dont on a besoin de consulter quelques pages chaque jour, puis se laisser absorber dans la méditation.

Conduite accompagnée

Le reste du palmarès de Robert de Niro et de son jury est plus problématique, à commencer par l’incompréhensible Grand prix partagé entre le superbe Gamin au vélo des frères Dardenne et Il était une fois en Anatolie de Nuri Bilge Ceylan. L’honnêteté pousse à dire qu’on a vu qu’une heure (sur 160 minutes !) de ce dernier film, notre 33e du festival. Mais comme il ne s’y était toujours rien passé et que l’affaire sentait bon l’auteurisme arrogant qui se regarde filmer, on n’a pas tenu plus. C’est tout l’inverse des Dardenne, qui ne cessent de simplifier leur cinéma et d’emprunter à l’efficacité sèche de la série B américaine pour raconter leurs fables morales. Ce film-là est bouleversant, sa présence si haute au palmarès légitime.

Légitime aussi, le Prix de la mise en scène à Nicolas Winding Refn pour son polar Drive, énorme plaisir de spectateur d’une intelligence et d’une efficacité redoutables. Il devait être distingué, car il ne répond pas aux canons que l’on se fait d’une compétition cannoise, mais aussi parce qu’il rappelle une chose fondamentale : un film d’action ne vaut pas pour sa quantité de testotérone ou son budget cascades, mais pour le talent du cinéaste qui tient la caméra. Drive représente bien la poussée rock qui a relancé la deuxième moitié du festival, que ce soit avec La Piel que habito d’Almodovar (où il hybride avec talent son cinéma avec les codes du thriller horrifique), This must be the place de Sorrentino (inégal mais fondamentalement sympathique) ou The Murderer de Na Hong-Jin à Un certain regard.

En revanche, le prix du scénario à Footnote (quand même assez raté), le prix du jury à Polisse (qu’on n’aime pas beaucoup) et les deux prix d’interprétations repêchent des déceptions de ce cru 2011. Pour Jean Dujardin, pourquoi pas, mais on le préfère en OSS 117 qu’en star du muet dans The Artist. Pour Kirsten Dunst, c’est encore pire : non seulement Melancholia est une énorme promesse non tenue par Lars Von Trier, mais Dunst s’y fait voler la vedette par Charlotte Gainsbourg, dont le personnage et le jeu sont bien plus intéressants.

Politique des hauteurs

Voilà pour le Palmarès, donc. Mais il y avait plein d’autres bons films au cours de cette deuxième semaine cannoise. Gros coup de cœur par exemple pour L’Exercice de l’État de Pierre Schoeller, plongée virtuose dans le monde de la politique française, ses compromis, ses bassesses et ses impasses. Choc aussi avec le troisième film d’Andrei Zviagintsev, qui redresse la barre après son Bannissement ennuyeux. Elena est un récit implacable, pas forcément très simple, mais où le cinéaste russe déploie à nouveau son art maniaque du détail, sa science du temps et de l’espace, y ajoutant une cruauté sociale et des moments de mise en scène vraiment inattendus de sa part.

Avant de quitter Cannes, impossible de ne pas souligner l’autre déflagration cinématographique du festival (avec le Malick) : Pater d’Alain Cavalier. S’associant à Vincent Lindon, acteur mais pas seulement, de cette fiction d’un nouveau genre, Cavalier s’offre une uchronie politique où il serait président et Lindon Premier ministre. Malgré son minimalisme, c’est le film le plus accessible, drôle et vivant de Cavalier depuis qu’il fait ses self-made movies. C’est surtout un formidable jeu de rôles au sens strict du terme, une passionnante réflexion sur la puissance du cinéma. Cette année, à Cannes, les excentriques se sont retrouvés au centre du festival, et c’est une très bonne nouvelle.

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