Rêve et silence

Avec ce beau film intime et douloureux, Jaime Rosales réussit à conserver la radicalité formelle de son cinéma tout en y faisant entrer une émotion pudique, donnant sa définition très personnelle du mélodrame. Christophe Chabert

Une figure de style recoupe les plus beaux films de la rentrée, comme un inconscient collectif qui réunirait les cinéastes ayant encore de l’ambition pour leur art. De Quelques heures de printemps à Reality en passant par ce Rêve et silence et en attendant Au-delà des collines et Amour, le plan-séquence fait un retour en force sur les écrans, comme une réaction au surdécoupage qui standardise le cinéma mainstream et réduit la mise en scène à une pure et simple réalisation du scénario. Jaime Rosales est sans doute celui qui va le plus loin dans cette logique : Rêve et silence n’est fait que de longs plans-séquences, issus de prises uniques où les acteurs improvisent leur texte, et qui parfois s’achèvent en pleine action lorsque le magasin est vide — car Rosales a tourné son film «à l’ancienne», avec une pellicule 35 mm à gros grains. Dans La Soledad et plus encore avec Un tir dans la tête, le cinéaste espagnol avait montré qu’il avait le goût des dispositifs radicaux, faisant sauter les chevilles dramatiques pour privilégier les temps morts, les espaces vides, la quotidienneté et les ellipses. Rêve et silence prolonge cette démarche d’une rare intégrité, tout en se rapprochant de ses personnages et de leurs douleurs.

Le monde du silence

Il y a d’abord un étrange effet de délocalisation : le film se situe à Paris aujourd’hui, mais met en scène une famille espagnole et hispanophobe, appartenant à une classe moyenne aisée dont les rituels sont ceux de tous les bourgeois du monde. Déroutante routine que le cinéaste regarde à distance, comme si ce monde-là n’était pas le sien. Puis vient le drame, un accident de voiture que Rosales laisse hors champ, et dont il regarde surtout les conséquences : le deuil d’une mère et la plongée dans l’apathie d’un père, soudain frappé d’indifférence. Comme s’il avait transféré la froideur de sa mise en scène à son personnage, Rosales fait alors preuve d’une empathie nouvelle pour les êtres qu’il filme. Leur bonheur standardisé ne l’intéressait pas, mais leur malheur singulier oui. Ou plus exactement la manière dont ils s’en extirpent : en retrouvant leur place dans des paysages sur lesquels ils ne faisaient que glisser. C’est toute la beauté de la dernière partie, où la vie reprend ses droits et où une sensation d’harmonie envahit les plans, qui se laissent aller à un discret lyrisme.

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