Pacific Rim

Pacific Rim
De Guillermo del Toro (EU, 2h11) avec Charlie Hunnam, Idris Elba...

Des robots géants contre des monstres géants : avec ce blockbuster dantesque, à l’imaginaire proliférant et à la mise en scène démente, Guillermo Del Toro donne une ampleur spectaculaire à un univers personnel soufflant de beauté. Christophe Chabert

Alors qu’un robot géant défonce plusieurs étages d’un building en se battant contre un monstre sorti des profondeurs du Pacifique, la caméra accompagne le mouvement de son bras mécanique jusqu’à s’immobiliser sur un pendule de Newton. Les billes, d’abord statiques, se mettent alors en mouvement sous l’effet des vibrations alentour, et Guillermo Del Toro stoppe le fracas apocalyptique de la scène pour ne regarder que ces petits chocs métronomiques.

Ça ne pourrait être qu’un gag visuel, mais c’est beaucoup plus que ça : tout Pacific Rim est résumé dans ce geste de mise en scène, qui passe du gigantisme à la loupe grossissante en un imperceptible glissement d’échelle. Cela dit autre chose encore : ce qui relie le robot numérique à l’invention scientifique transformée en objet ludique, c’est l’obstination d’un artiste qui pense le cinéma comme un terrain de jeu dans lequel on peut tout fondre ensemble, de la peinture aux jeux vidéo, de la littérature à la bande dessinée, de la science aux sagas populaires.

La guerre, c’est mieux à deux

L’introduction de Pacific Rim porte la marque du conteur Del Toro : en voix-off, Raleigh Becket explique comment les Kaijus, des aliens belliqueux, ont surgi d’une brèche en plein cœur du Pacifique pour attaquer le pont de San Francisco. En guise de riposte ont été mis au point les Jaegers, immenses robots guidés par des binômes de pilotes connectés mentalement entre eux pour synchroniser leurs actions. Ceux-ci ont triomphé de la première attaque, provoquant un engouement médiatique pour ces sauveurs et une «Kaiju-mania» ridicule qui a cessé dès que l’humanité a compris que les monstres allaient continuer à s’échapper de la brèche, de plus en plus gros, de plus en plus nombreux.

Ce prologue s’achève par un premier morceau de bravoure : la lutte entre le Jaeger commandé par Raleigh et son frangin, et un Kaiju coriace dont ils ne pourront pas venir à bout. Raleigh en réchappe, mais pas son frère : l’Apocalypse s’annonce, et Del Toro focalise sur ce drame comme s’il posait la vraie matrice d’un récit dont la ligne claire autorise une fluidité narrative peu commune – en cela, on dira de Pacific Rim qu’il s’inscrit dans une lignée cameronienne du blockbuster.

Ici, comme pour le tango, il faut être deux : père et fils, mari et femme, mentor et disciple, scientifiques à tendance puriste ou viré geek allumé, rien d’héroïque ne peut advenir si l’on reste seul. Del Toro s’autorise une utopie où les différences de sexe, de nationalités et de couleurs de peau sont abolies pour former une civilisation où le couple sous toutes ses formes est le garant de la survie. Mais le cinéaste aime aussi ses monstres : les Kaijus sont dotés d’une intelligence collective, et leur destruction annoncée se reflètera dans le regard bouleversant car saisi par l’angoisse de l’un des aliens.

L’échelle ! L’échelle !

La sincérité et la générosité de Del Toro éclatent donc à tous les niveaux du film, que ce soit dans le plaisir enfantin avec lequel il manipule ses jouets géants ou dans sa façon de glisser dans les coursives du récit tout ce qui a fait le prix de son cinéma. La connexion télépathique entre les pilotes permet ainsi à l’un et à l’autre de partager leurs traumas sous forme de souvenirs dans l’espoir de les exorciser – l’imaginaire comme refuge hors d’une réalité insupportable, thème majeur dans son œuvre, ici revisité dans une optique post-La Jetée à la façon récente de Looper ou d’Oblivion – et l’apparition burlesque du fidèle Ron Perlman en trafiquant d’organes Kaijus lui permet de décrire une économie clandestine et souterraine qui renvoie au village troll du deuxième Hellboy ou aux hôpitaux vampiriques de Blade II.

Sans parler du goût Del Toro, sensible dans la moindre lumière, le moindre décor, le moindre accessoire : tout ici est d’une beauté totale, perfection plastique que la mise en scène, souveraine, n’a plus qu’à venir prélever et sublimer. C’est là où Pacific Rim prend vraiment sa dimension de blockbuster épique et dantesque : les combats sont chorégraphiés avec un sens de l’espace qui n’a jamais besoin de recourir à l’artificialité d’un montage épileptique pour être spectaculaire. Chaque plan est pensé à 360 degrés, dans des proportions qui permettent à Del Toro de marier en leur sein la démesure et la taille humaine – que ce soit un bateau sur l’océan coincé entre un Kaiju et un Jaeger, ou l’immensité des fonds sous-marins qui ramènent robots et monstres à une échelle soudain «normale».

Le fantasme de gamer initial – les Jaegers ne sont dans le fond que des Wii géantes, les Kaijus passent de la catégorie 1 à la catégorie 5 comme on passerait les niveaux de difficulté d’un jeu vidéo – prend alors un tout autre sens : c’est dans le hors champ de la destruction que tout se joue – habitacle des robots manœuvrés par les pilotes ou planète des aliens où se trame leur stratégie martiale – et c’est par l’esprit que l’on peut y entrer, non par la force. Au milieu d’un chaos parfaitement maîtrisé fait de métal, de chair mutante et d’éléments naturels déchaînés, Del Toro ne cesse de tirer des perspectives hallucinantes, tout en fournissant les référents pour en apprécier l’ampleur : que ce soit un homme, une femme ou un simple pendule de Newton.

Pacific Rim
De Guillermo Del Toro (ÉU, 2h10) avec Charlie Hunnam, Idris Elba, Rinko Kikuchi…
Sortie le 17 juillet

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