Blue Jasmine

Blue Jasmine
De Woody Allen (ÉU, 1h38) avec Alec Baldwin, Cate Blanchett...

Aussi surprenant que "Match point" en son temps dans l’œuvre du cinéaste, "Blue Jasmine" de Woody Allen est le portrait cruel, léger en surface et tragique dans ses profondeurs d’une femme sous influence, une Cate Blanchett géniale et transfigurée. Christophe Chabert

Le titre du dernier Woody Allen est en soi un formidable puzzle : Jasmine, son héroïne, possède entre autres lubies une passion monomaniaque pour la chanson Blue Moon. Mais c’est aussi son état d’esprit lorsque le film commence : bluesy et déprimée suite à la rupture avec son mari, sorte de Bernie Madoff ruiné par la crise financière. Elle, la femme entretenue, rumine à voix haute sa déconvenue : elle doit quitter son standing new-yorkais pour s’installer chez sa sœur prolo à San Francisco.

Il y a peut-être un dernier sens derrière ce Blue-là : Jasmine semble débarquer de nulle part, out of the blue, ou du moins la savante construction dramatique du film laisse-t-il un noir – ou un bleu – sur un passé qu’elle rabâche mais qu’elle est peut-être surtout en train de réinventer. Car dans la première partie du film, Jasmine est une victime, femme bafouée que ce déclin entraîne bord de la folie et qui cherche à tout prix à retrouver sa dignité mais surtout son rang, cette place sociale qu’elle estimait avoir durement conquise.

Petits arrangements avec soi-même

La question de la lutte des classes n’est pas neuve chez Allen ; mais elle prend ici un tour singulier car elle est annexée à la personnalité de Jasmine, qui méprise sa sœur et son nouvel amant car ils lui renvoient l’image de ce qu’elle ne veut pas (re)devenir. Là où le héros criminel et dostoievskien de Match point s’en remettait au hasard pour espérer conserver ses nouveaux privilèges, Jasmine cherche au contraire à tout contrôler, gommant les traces encombrantes d’un passé douloureux et préparant un futur radieux au prix de gros arrangements avec la vérité.

Ce qu’Allen réussit, c’est à déployer ce fond particulièrement sombre et quasi-Bergmanien sans jamais sombrer dans le tragique. Le film avance avec allégresse, légèreté et vivacité, ne rendant que plus cruel le moment de la révélation finale. Cette réussite, le cinéaste la doit beaucoup à son actrice, Cate Blanchett, impressionnante. Blanchett arrive à incarner les deux facettes de Jasmine – la folie douce et la folie pure – dans un même mouvement de nervosité inquiète, faisant exister physiquement sa capacité à l’auto persuasion. Elle aussi paraît se perdre dans le bleu – que ce soit les bleus à l’âme de son personnage ou le trompeur bleu du ciel du formidable dernier plan.

Blue Jasmine
De Woody Allen (ÉU, 1h38) avec Cate Blanchett, Sally Hawkins, Alec Baldwin…

pour aller plus loin

vous serez sans doute intéressé par...

Samedi 17 février 2018 Synthèse entre "La Belle et la Bête" et un mélo de Douglas Sirk, ce conte moderne marque le triomphe de Guillermo del Toro, Lion d’Or 2017 à la Mostra de Venise, qui signe son film le plus consensuel, sans renoncer à ses marottes arty-trashy....
Mercredi 11 mai 2016 Le 47e opus de Woody Allen-réalisateur semble avoir été taillé sur mesure pour effectuer l’ouverture de la 69e édition du festival de Cannes : glamour, artifices et nostalgie des vieilles bobines s’y bousculent. On passe un charmant moment, sans...
Mardi 1 décembre 2015 La Cinémathèque de Grenoble propose de (re)voir "Manhattan", l'un des chefs-d'œuvre de Woody Allen. Une programmation en lien avec l'expo du Musée de Grenoble consacrée à Georgia O’Keeffe.
Jeudi 3 octobre 2013 Pendant solaire de son précédent "Vénus Noire", "La Vie d’Adèle" est pour Abdellatif Kechiche l’opportunité de faire se rencontrer son sens du naturalisme avec un matériau romanesque qui emmène son cinéma vers de nouveaux horizons poétiques. Ce...
Mardi 27 août 2013 Alors que la rentrée cinéma est dominée par des cinéastes entre 40 et 60 ans, deux octogénaires vont surprendre par la vigueur de leurs derniers opus, aussi inattendus que flamboyants de maîtrise : Woody Allen avec "Blue Jasmine" et Roman Polanski...
Mercredi 30 janvier 2013 Chouette idée que ce cycle "Égérie" organisé durant tout le mois de février par le Centre Culturel Cinématographique… L’idée est simple : le job de réalisateur s’étant (...)
Vendredi 6 juillet 2012 Poursuivant son exploration des métropoles européennes après Londres, Barcelone et Paris, Woody Allen se montre bien peu inspiré face à Rome, se contentant d’un poussif récit multiple où tout sent la fatigue et le réchauffé, à commencer par sa...
Mercredi 29 septembre 2010 Crise matrimoniale, peur de la vieillesse, stérilité créative, folie douce et raison forcenée : Woody Allen retrouve le plaisir des récits gigognes dans cette excellente comédie hantée par la gravité. Christophe Chabert

restez informés !

entrez votre adresse mail pour vous abonner à la newsletter

En poursuivant votre navigation, vous acceptez le dépôt de cookies destinés au fonctionnement du site internet. Plus d'informations sur notre politique de confidentialité. X