Vendredi 15 septembre 2023 Que se passe-t-il dans les musées en cette fin d'année ? Du dessin, de la photo, de l'architecture, des planètes... Petit tour des expos qui vont rythmer l'automne.
Warhol m'a tué
Par François Cau
Publié Mercredi 8 juillet 2009 - 6046 lectures
Il nous explique qu’il aurait pu inventer le Pop Art mais qu’il a préféré une voie moins tranchée et plus poétique. Alex Katz, figure encore méconnue de la peinture américaine, est l’objet d’une grande exposition au Musée de Grenoble. Mais qui êtes-vous vraiment Mister Katz ? Aurélien Martinez
C’est un homme de quatre-vingt-deux ans que l’on rencontre, mais il est loin d’être grabataire. Grand, fin, élégant, tout de blanc vêtu, lunettes de soleil dans la poche et sourire extatique de vacancier, Alex Katz ressemble à l’un de ces seniors hyperactifs à la vie 100% saine que l’on voit de plus en plus débouler dans notre société contemporaine. Son assistante en France n’en revient d’ailleurs toujours pas : qu’il soit chez lui aux États-Unis, ou en déplacement à l’autre bout du monde, notre homme fait tous les jours son footing, façon de signifier crânement qu’un artiste octogénaire peut toujours être au top. D’autant plus qu’il en faut de la forme pour répondre aux sollicitations récentes et tous azimuts dues à une reconnaissance artistique internationale arrivée tardivement. Car celui qui commença à peindre dès les années 50 n’a véritablement conquis le monde de l’art que très récemment, et cette exposition au Musée de Grenoble est sa première monographie en France. Alors pourquoi, un demi-siècle après ses débuts, le considère-t-on seulement maintenant comme l’une des grandes figures de l’art américain contemporain ? Guy Tosatto, directeur du Musée et co-commissaire de cette exposition, a son idée sur la question. « Sa peinture peut être jugée comme trop hermétique, car elle ne délivre pas de message directe. On a souvent pu la trouver superficielle, mais l’erreur vient du fait qu’on la regarde de façon superficielle. Aujourd’hui, les jeunes artistes découvrent le côté très stimulant de Katz. »
Le Père Noël est mort
Né en 1927 à New York, Alex Katz commence quelques temps avant l’émergence du Pop Art. Un mouvement qu’il précéda et inspira… sans jamais être cité comme référence. « À l’époque, j’essayais de faire quelque chose de nouveau en travaillant à partir d’images de la culture populaire. Quand on regarde les dates, on se rend compte que j’ai commencé bien avant des artistes comme Warhol ou Wesselmann. » Ce qui lui vaut quelques anecdotes assez drôles. « Un soir, je me trouvais dans une fête où Warhol était présent. Je le voyais en train de regarder un de mes tableaux – une grande figure dans un format carré comme il y a dans l’exposition – et je me suis dit "zut, il va encore me piquer un truc". Ce qui n’a pas manqué puisqu’il a fait ensuite toute sa série de portraits que l’on connaît tous ! » Mais résumer Katz à un Warhol avant l’heure serait se méprendre sur sa véritable nature. « Warhol est un vrai moderniste qui fait partie de l’histoire de l’art contemporain. Mon travail n’est pas tellement moderne… peut-être plus post-moderne… D’ailleurs, pour que les gens commencent à s’y intéresser, il a fallu que le modernisme s’écroule... Car dans un paradigme de la sorte, mes tableaux avaient l’air de mauvais Pop Art, de simples peintures photographiques. Or c’est autre chose. » Autre chose car si son œuvre ne dénonce rien et ne délivre pas de message idéologique (contrairement au Pop Art et sa critique de la société de consommation), Katz exhibe une certaine réalité toute aussi forte mais plus difficile à entendre : le Père Noël n’existe pas mes amis, voilà notre monde dans toute sa simplicité. En ce sens, il préfigure avant l’heure la chute de nombreux systèmes de valeurs construits au XXe siècle. Avec cette notion de réalisme cru, on découvre alors que son art, ouvertement placé du côté du figuratif, s’est plutôt construit en opposition à l’abstraction dominante de l’époque matérialisée par Pollock & co.
La peinture, seulement la peinture
Katz, c’est donc un nom à part dans le monde de l’art contemporain. Une recherche de la banalité la plus formelle ; une façon de peindre très proche de la photographie et du cinéma, en s’intéressant de près aux figures humaines. En suivant plusieurs modèles au cours de sa carrière – avec en premier lieu Ada, son épouse depuis cinquante ans –, il a ainsi élaboré une peinture du temps. Cet aspect est particulièrement mis en évidence dans l’exposition avec la série de trois tableaux sur Vincent, son fils représenté à différents moments cruciaux de la vie d’un jeune homme : l’adolescence (avec le tableau Vincent smiling (ci-dessus)), l’affirmation vestimentaire du vingtenaire et la beauté de l’adulte). On touche alors ici au cœur de l’approche de Katz, de son axe de recherche artistique. « À l’instar des protagonistes de L’Avventura ou de La Notte d’Antonioni, les personnages d’Alex Katz sont les acteurs de leur propre vie. Une vie simple et tranquille rythmée par les rencontres entre amis, le huis clos des couples, les moments de solitude, rythmée aussi par la succession des saisons et des loisirs qui leur correspondent » analyse Guy Tosatto. « Le temps ici, comme chez le réalisateur italien, apparaît distendu. »
I’ll be back
Finalement, cette exposition, élaborée avec un musée finlandais et un allemand, propose une plongée artistique dans l’univers d’un artiste encore méconnu chez nous (un seul de ses tableaux est détenu dans les collections publiques françaises). Se sent-il alors particulièrement heureux de tant d’attention, ou au contraire déçu d’un intérêt si tardif ? « C’est très bien, mais il faudrait une exposition avec des peintures plus musclées. Comme artiste, le principal défi est de réaliser de grands tableaux. Ce sont des œuvres où je prends le plus de risques. Il y en a quelques unes ici, mais pas assez. » Façon de signaler que malgré son âge, il reviendrait bien en France pour une rétrospective plus large !
ALEX KATZ, AN AMERICAN WAY OF SEEING
Jusqu’au 27 septembre, au Musée de Grenoble
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