« Prenez-moi en entier »

Dans le cadre de l’exposition Traces - mêlant danse et arts plastiques - sont prévues plusieurs performances et installations. L’une d’entre elle nous a fait de l’œil, alors on a interrogé le cerveau de l’opération. Propos recueillis par Laetitia Giry

Petit Bulletin : Qui êtes-vous, Mathilde Monfreux ?
Mathilde Monfreux : Je suis danseuse chorégraphe, et je travaille avec une plasticienne, Elizabeth Saint Jalmes. On fait un travail en collaboration à partir de nos imaginaires respectifs. On est en dialogue : elle crée certains objets à ma demande, et m’en suggère d’autres. Puis on écrit ensemble des performances, des petits scénarios.Parlez-nous de l’alléchant « Projet cochon ».
Notre collaboration a vraiment commencé autour du Projet cochon. C’est à partir de cette pièce de théâtre que l’on a écrit une série de performances que l’on joue dans les festivals de rue (dans des charcuteries pour être précis). L’idée, c’est d’avoir un langage à notre disposition, comme si on avait dans nos valises plusieurs outils, plusieurs jouets : la danse, la voix, les textes, les objets plastiques. Puis on fait des propositions in situ, en fonction des lieux qui nous accueillent, on réécrit le spectacle. C’est le cas pour ce que l’on va présenter au Centre d’Art Bastille. On va faire une installation plastique en fonction de l’architecture du lieu, de ce que ce dernier nous suggère. Laissez-vous de la place à l’improvisation ?
Ce n’est pas de l’improvisation, dans le sens où il préexiste un scénario qui est écrit, après on est sur un travail de matière donc… Elisabeth transforme les matériaux, ils changent d’une fois sur l’autre. Et moi, dans mon rapport à la danse, j’ai aussi cette démarche-là. On met nos techniques d’improvisation au service d’un univers très précis, et de matériaux plastiques et dansés l’étant tout autant. Pourquoi le cochon ?
J’ai initié un travail de recherche sur le cochon il y a trois ans. Je voulais faire une pièce de danse-théâtre, et qu’il y ait de la matière à toucher. Je viens d’une famille où on tue le cochon tous les ans. J’ai sollicité le savoir-faire de plasticienne d’Elizabeth pour qu’elle imagine des choses qui puissent ressembler à de la viande. Elle a créé des faux boudins et des faux organes pour cette pièce. De fil en aiguille, elle a continué à être présente dans mon travail, et moi dans le sien. Ce que l’on va faire au CAB, c’est vraiment la rencontre de nos deux univers : en plus de l’adaptation du Projet cochon, on fait une installation pour cette performance et, une fois qu’on l’aura jouée, on réagencera les éléments plastiques pour l’exposition. Un sujet finalement éminemment philosophique…
Je suis animée par de nombreux questionnements par rapport à l’idée de l’animalité dans l’homme. Projet cochon parle clairement du sacrifice du cochon et de la mort – du fait qu’un jour, on meurt. Avec les animaux, il y a un rapport très direct à l’idée de la vie, qui est aussi celle de la mort. Dans notre société, on ne veut pas la voir, on cache un peu les vieux. Il y a dans notre travail un désir d’aller voir, avec ce côté très trivial : on parle des viscères, de la chair, des tripes. C’est très organique, il y a des odeurs aussi : les gens peuvent en être surpris, parce qu’en général, on n’a pas envie de voir de quoi l’on est vraiment faits. Avez-vous eu des réactions de dégout ?
Les gens sont juste surpris. On ne montre pas l’intérieur des animaux quand on achète de la viande. On l’achète en barquette, sous vide. L’idée n’est pas du tout de dire qu’il ne faut pas manger de viande, c’est plus au contraire d’assumer la chair, dans le sens de la chair joyeuse du corps de l’homme. Il y a aussi l’idée que le cochon est un animal que l’on va consommer jusqu’au bout, que tout est bon dans le cochon. Il y a une espèce de parallèle qui est fait entre l’élevage en batterie d’animaux et le rapport à la consommation. L’homme est aussi exploité dans tous les sens : il y a pour moi une grande ouverture philosophique, avec cette impression que l’on peut avoir d’être exploités et utilisés au sein d’un système plus grand que nous. L’idée du découpage de l’animal, c’est dire que dans la société, souvent, on fait appel à différentes portions de notre personnalité, on nous veut efficaces, avec pourtant une difficulté à nous prendre en entier. Dans les relations humaines, c’est pareil, on aime bien l’autre, mais il y a toujours quelque chose que l’on rejette. Donc en réaction, il y a cette revendication de dire : « prenez-moi en entier ». Traces en mouvement, expo du 11 décembre au 2 janvier
Mathilde Monfreux – Elizabeth Saint-Jalmes / MITSI, expo du 19 décembre au 2 janvierPerformance le 19 décembre à 16h
Au CAB, Centre d’Art Bastille

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