La solitude du pot de yaourt

Le chanteur bourrin / bourru / bourré Didier Super prend une partie de ses quartiers d’été de par chez nous, avec un concert aux Rencontres Brel et une performance cyclo-foireuse pendant l’animation Chacun son Tour du Cabaret Frappé. L’occasion idéale de le soumettre à la question sur sa carrière. Propos recueillis par François Cau

Il subsiste encore aujourd’hui un gros malentendu sur vos débuts…
Didier Super : Oui, une partie du public s’est gourée en étant persuadée que j’existe réellement. De toute façon, on a toujours envie de croire le pire côté des choses, et du coup ils étaient très contents de croire dans ce personnage que je joue.

L’une de vos caractéristiques majeures consiste à brutaliser le public, mais d’une certaine façon, pendant cette époque, vous vous faisiez brutaliser par Universal…
Pas vraiment par Universal, mais par le métier en lui-même. C’est pas évident de passer du quotidien laborieux d’intermittent du spectacle à des centaines de dates, faut apprendre à décliner pour ne pas s’user. Universal, ils intervenaient sur le disque, et dans mon approche du boulot, le disque c’est rien, c’est pas plus important que de faire un t-shirt – surtout aujourd’hui. Ils m’ont emmerdé pendant quatre ans pour que je fasse de nouveaux disques, avec de nouvelles chansons. Sauf que je voulais enrayer le malentendu avec le public, et donc il fallait que j’arrête de sortir des disques pour stopper mon effet de mode, qui ne plaisait qu’aux gens qui viennent aux concerts pour se rouler par terre, sans esprit de curiosité.

Vous avez dû lutter pour qu’on vous prenne pour un artiste et non pour une vedette ?
Oui, je suis trop orgueilleux pour devenir une vedette ; franchement, vedette, c’est la honte.

Estimez-vous avoir aujourd’hui la liberté dont vous avez besoin ?
Déjà, personne n’intervient sur mon contenu, donc c’est pas mal. On ne m’impose rien, on veut parfois me faire aller dans des émissions télé, et je refuse. La vraie liberté, c’est d’avoir un public qui vient pour les bonnes raisons. Mais dans n’importe quel domaine artistique, tu te fais toujours un peu consommer, t’es toujours en train de fuir, d’essayer de contrecarrer les attentes du public. Sinon, tu t’ennuies, comme tous les pots de yaourts dans les bacs de supermarché.

Vous avez écrémé au fil du temps le public qui vous gênait…
J’ai tourné pendant trois ans un solo qui s’appelle “Concert sans musique“, ce qui était faux, mais qui faisait fuir les spectateurs casse-couilles qui voulaient que je ne leur joue que Petit Caniche. Je pense que ça nous a fait perdre un tiers de la jauge, mais c’est pas mal, c’est plus cohérent – cette petite escroquerie se porte plutôt bien ! Le public devient plus varié, avec des vieux, des mères de famille, et franchement, ça me plaît de ne plus jouer pour le public le plus “consommatoire“ des maisons de disque, à savoir les 14-22 ans. A l’époque, chez V2-Universal, on me disait qu’on pouvait leur vendre n’importe quoi. Dont mon album…

Et vous continuez quand même à maltraiter le public sur scène ?
Oui, mais quand je vois la façon dont certains se vendent… quand je vois un mec qui fait un concert à Aulnoy-les-Valenciennes en janvier, et qu’il dit qu’il est content d’être là, je trouve ça beaucoup plus vulgaire.

Mais le fait que vous preniez le public à partie, et qu’il s’y attende, est-ce que ça ne vous met pas dans un rapport semblable à celui qui vous reliait à vos spectateurs “casse-couilles“, est-ce que ça ne vous enferme pas dans un autre personnage ?
Je ne me suis jamais posé la question… Je pense que le public aime bien qu’on le traite de con, tant qu’il sent que j’ai raison et que je suis sincère ! Aujourd’hui, j’apprécie de pouvoir faire mon travail de A à Z, et qu’il y ait un minimum de répondant en face. Je n’ai plus trop la force de jouer seul contre tous comme au début, ça n’a plus de sens.

Vous avez monté une comédie musicale, Et si Didier Super était la réincarnation du Christ ?, qu’est-ce que cette expérience vous a apporté ?
A l’écriture, j’ai dû me mettre à réfléchir pour trois voix, et là, j’ai beaucoup de mal à revenir à l’écriture solo ! Et j’ai dû m’intéresser à la mise en scène, même si je me suis fait aider par deux personnes venues du spectacle de rue – j’ai fait appel à eux parce que les gens qui font ce métier n’ont pas pour unique ambition de réussir, donc on peut espérer qu’ils aient le talent nécessaire.

A lire vos interviews ou la BD La Vraie vie de Didier Super, on a l’impression que le théâtre de rue est l’une des rares disciplines artistiques qui trouve grâce à vos yeux ?
Il y a son lot de saloperies aussi maintenant, mais je trouve qu’il y a quand même beaucoup moins d’impostures que dans les métiers de la culture en général, que ce soit dans la musique actuelle ou les humoristes. Les programmateurs ont un vrai œil, attachent de l’importance à ce qui se passe sur scène. Perso, j’ai été programmé des centaines de fois juste parce que le programmateur sait que je remplis, mais il n’a aucune idée de ce qu’il y a sur scène. Et à côté de ça, tu as des gens qui n’ont aucune autre ambition que de transformer une plaque d’égout en salle de spectacle, de travailler pour offrir la meilleure performance possible. C’est pas le même métier…

Didier Super + Stupéflip + Uncommonmenfrommars
Mercredi 20 juillet dès 20h, sous chapiteau à Saint-Pierre-de-Chartreuse, dans le cadre des Rencontres Brel

Les Têtes de Vainqueurs
Vendredi 22 juillet dès 18h30, place de Gordes

pour aller plus loin

vous serez sans doute intéressé par...

Mercredi 21 juin 2017 L’Arpenteur, qui se déroule chaque année début juillet aux Adrets-en-Belledonne, est l’un des festivals les plus intéressants de la région, pensé avec la même exigence que s’il se déroulait dans un grand théâtre – alors qu’on est plutôt ici en...
Jeudi 10 octobre 2013 Dans les années 60, les folkeux américains avaient inventé la « protest song ». Littéralement « chanson de protestation » qui entendait refaire le monde. À sa (...)
Vendredi 19 juillet 2013 Festival d'Avignon/ "Ta vie sera plus moche que la mienne" (Didier Super)
Jeudi 10 février 2011 « T’achètes jamais mes disques alors que tu connais mes chansons par cœur. » Dans une vidéo intitulée "publicité déguisée", Didier Super participe à sa manière au débat (...)

restez informés !

entrez votre adresse mail pour vous abonner à la newsletter

En poursuivant votre navigation, vous acceptez le dépôt de cookies destinés au fonctionnement du site internet. Plus d'informations sur notre politique de confidentialité. X