Semelles au vent

À tout juste 28 ans, Pierre Ducrozet, a publié à la rentrée un premier roman décapant, "Requiem pour Lola rouge". Esquisse de portrait d'un jeune homme qui n’aime rien tant que bourlinguer et écrire pour tenter d’exister dans un monde trop poli à son goût. Nadja Pobel

L’anecdote est presque trop "vendeuse" pour être vraie : tout petit, à Lyon, où il est né, avant de dormir, Pierre Ducrozet inventait des histoires pour son grand-frère qui demandait la suite, soir après soir. Car avant d’être passionné par la lecture, ce jeune écrivain, âgé désormais de 28 ans, a surtout envie de «raconter des histoires». Après avoir dévoré les Arsène Lupin et autres Sherlock Holmes, Rimbaud ou les poèmes de Boris Vian qu’il a sous la main à l'adolescence, son entrée en littérature se fait via le Transsibérien de Blaise Cendrars, «ce livre a fait le lien entre la poésie que je lisais déjà et le roman». Pour l’anniversaire de ses 16 ans, Pierre reçoit de son père cinq ouvrages qui sont restés fondateurs : Mort à crédit de Céline, Lolita de Nabokov, Conte de la folie ordinaire de Bukowski, Bourlinguer de Cendrars et Tropique du Capricorne. De ce récit d’Henry Miller, il parle encore avec une émotion intacte : «je me suis assis sur mon lit, j’ai lu ce livre avec obsession, en sueur. Je me suis rendu compte qu’un livre pouvait changer la vie puisque je le ressentais physiquement. Lire ou écrire n’étaient pas juste des activités pour passer le temps, ce n’était pas pour rigoler. Je me suis dit que c’était comme ça que je voulais vivre, que je voulais écrire, avec intensité».

Plume

Alors il écrit. Beaucoup. Des poèmes, des textes fleuves pour des fanzines (sur le sport puis sur la politique, tendance anarcho-gauchiste) ; il s’entoure de gens plus âgés que lui, happé par l’envie de découvrir le monde toujours plus vite. Suivent les premières publications de nouvelles dans des revues spécialisées. Enfin, il se fait critique pour le Magazine littéraire auquel il collabore encore chaque mois. Mais surtout, il voyage. Diplôme de Sciences-po Lyon en poche, il part six mois faire un tour du monde : Amérique du Sud, Australie, Asie du sud-est mais aussi Berlin ; il vit intensément, «essaye de brûler un peu» comme il l’a lu dans les livres. Et en rentrant, il écrit un premier roman, opte pour cette forme plus ample que la nouvelle car il veut développer ses personnages mais, de son propre aveu : «ce récit était trop axé sur l’expérience brute du voyage et ne possédait pas assez de recul». C’est finalement il y a tout juste un an, à une semaine de son départ pour plusieurs mois de vie en Inde, que son quatrième manuscrit trouve un écho favorable auprès de Charles Dantzig. Séduit, l’éditeur de la maison Grasset le signe. Après une phase de retouches faites à Benares, au bord du Gange, Requiem pour Lola rouge compte parmi les 701 romans de la rentrée littéraire 2010.

Mouvements

Sélectionné parmi les trente ouvrages de la rentrée par la Fnac, Lola a la chance de se démarquer. Pierre découvre des critiques élogieuses à son égard et vit «un rêve de gosse» malgré la déception d’être évincé d’une voix du deuxième tour de la sélection du prix de Flore. Retour désormais en Espagne où il s’est installé, il y a quatre ans sans parler ni castillan ni catalan. Il travaille à son prochain roman (un road movie qui sortira de la bulle fantasmagorique de Lola) et vit de petits boulots dans les bars, de traductions et de cours donnés au lycée français à Barcelone. Une fois encore, il est allé voir ailleurs et a trouvé en Espagne un air plus frais qu’en France : «l’atmosphère y est plus relâchée, plus hédoniste, les relations humaines sont moins contrariées par l’interdit». Les yeux ouverts grands sur le monde, il déplore que notre société soit rongée par «un courant hygiéniste qui polit les angles», se désole de l’absence d’utopie et se rassure de voir «la rage qui a animé les mouvements sociaux français de ces derniers mois». Le prix Goncourt attribué à Michel Houellebecq le réconforte aussi («un auteur qui possède un vrai ton et une vision du monde»). Mais Pierre Ducrozet songe déjà à repartir, peut-être aux États-Unis. Pourtant il dit «être revenu de l’idée romantique d’aller voir ailleurs. Ailleurs ce n’est pas le paradis». Ce qui compte, c’est le mouvement.

 

Requiem pour Lola rouge
Ce premier roman court (171 pages) et vif se lit en un souffle. Pierre Ducrozet s’est délesté de toutes fioritures comme on ferait un sac à dos à minima avant le grand voyage. Le narrateur vit de trafics à la petite semaine en traînant sa carcasse sans trop savoir qu’en faire. Puis, par hasard, «comme une brindille [tombe] dans l’œil» il croise la route de Lola, fille incandescente, fantasmée et réelle à la fois, qu’il suit jusqu’au bout du monde, jusqu’à s’en brûler les ailes. Pierre Ducrozet fait virevolter ses personnages de villes en villes passant de Lisbonne à Hanoï. «La nuit me gifle sans préambule», écrit-il. Ce livre aussi.

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