Kurt Vile : le flou du roi

Kurt Vile a toujours été un adepte des grands formats, de ces chansons qui, sur trois accords, s'étirent telles des chewing-gums fondus ou des adolescents sur un canapé. Il le prouve encore ici avec Bottle It in dont les 13 morceaux (si l'on compte l'appendice final à la durée dérisoire) s'étalent sur 80 minutes.

Avec cet album sur le thème du voyage et du déplacement incessant (tournées, road trips familiaux) volontairement enregistré aux quatre coins des États-Unis (de New York à Los Angeles, du Connecticut à Portland), tout se passe comme si Kurt Vile avait voulu mettre en bouteille l'ensemble des grands espaces traversés mais aussi toute la musique, americana, indie-rock, folk – qu'ils contiennent, en une forme de boulimie tranquille que symboliserait à merveille la traînante déambulation d'un esprit qui ne tient pas en place qu'est Bassackwards :

I was on the moon but more so, I was in the grass / So I was chilling out but with a very drifting mind (J'étais sur la lune mais plus encore, j'étais dans l'herbe / Ainsi je me détendais mais avec l'esprit complètement à la dérive).

Entre Rob Schnapf (Beck, Elliott Smith, H-Burns), Shawn Everett (Weezer, The War on Drugs, Julian Casablancas) et Peter Katis (San Fermin, The National, Shearwater), Vile aura ainsi usé plus d'un producteur en vue de la scène indie. Et même convoqué de prestigieux invités : Cass McCombs, Stella Mozgawa (Warpaint), Kim Gordon et la harpiste Mary Lattimore qui illumine la chanson-titre.

Entre-deux

Et s'il ne livre sans doute pas son meilleur album – ou peut-être le fait-il selon les critères, possiblement variables, que l'on impose à ce constat – Kurt fait du Vile. Et, paradoxalement, peut-être plus que jamais, divaguant de sa voix de nez au pouvoir mesmérisant, portée par le flux de conscience mal réveillé d'avant le café du matin.

Avançant au rythme – merveilleusement reproduit par la batterie du titre Bottle it in – d'un vieux train pour beatnik sur le retour. Celui de sa légendaire tendance au slacking envisagée, de la même manière que le thème du voyage (parfois intérieur et favorisé par des substances), comme une sorte d'entre-deux perpétuel.

D'une certaine manière, c'est cela, entre tubes scintillants comme des miroirs aux alouettes (Loading Zones, One Trick Ponies) et ballades de l'ombre (Hysteria, Cold Was the Wind), private jokes et solitude phobique, qu'est Bottle It in : un album de l'entre-deux. Une (inter)zone de flou où le trajet et l'indécision prévalent sur le but à atteindre et la résolution – tant il est, comme il le chante sur Loading Zones, de toute façon difficile de se garer et, par là, de se ranger. Confirmant que du flou, ce grand enfant de 38 ans est bien le roi.

Kurt Vile & the Violators, Bottle It in (Matador Records)
À l'Épicerie Moderne le dimanche 21 octobre