Ain / Rhône / Entre Jujurieux et Lyon se dessine une histoire autant industrielle que sociale autour de la soie. Balade en deux temps.
Soieries Bonnet - Jujurieux
C'est une extension de ce qui se trame à Lyon, qui se trouve et se visite toujours à Jujurieux dans l'Ain (à 70 km de Lyon) sur les terres de l'écrivain et prix Goncourt de la poésie, Charles Juliet. En 1835, l'entrepreneur Claude-Joseph Bonnet (1786-1867) installe dans son village de naissance un véritable pensionnat-école, le premier du genre en France. Lui-même a appris le métier de tisseur à Lyon avant de devenir fabricant dans le quartier des Terreaux à 24 ans.
Dans l'Ain, il va faire travailler jusqu'à 2000 personnes en même temps pour la filature, le moulinage et le tissage. À la fin du XIXe siècle, ce sont 800 ouvriers qui œuvrent de chez eux pour le dévidage des cocons et 1200 sur place — dont 800 jeunes filles dès 12-13 ans, venues l'Ain, de Savoie voire l'Italie du Nord, placées par leur famille ou recueillies à l'orphelinat de l'hôpital lyonnais de la Charité (l'actuelle place Antonin Poncet : il n'en reste que le clocher).
Bonnet fera fortune : il produit exclusivement des tissus noirs et unis (taffetas, satin et soie) pour l'habillement, très réclamés par la bourgeoisie de l'époque — le noir n'est pas alors synonyme de deuil et la couleur n'apparait que dans les années 1880. Pour obtenir cette teinte, il va faire appel à François Gillet dont les descendants vont acquérir en 1911 une villa aujourd'hui dédiée aux écritures contemporaines. Le succès de Bonnet (et Gillet) est total, les Bonnet sont primés dans différentes expositions universelles et internationales (45 fois entre 1844 et 1910 !) et inspirent même Émile Zola pour son roman Au bonheur des dames.
Le lien avec Lyon est constant. Avec Gillet, mais aussi les canuts et même avec Louis Sainte-Marie Perrin, architecte de la basilique de Fourvière, qui réalise, vingt ans après sa mort, le buste de Bonnet qui trône aujourd'hui encore sur le site ainsi que la chapelle de l'usine. Car Bonnet pratique un paternalisme catholique actif. Ce sont des bonnes sœurs qui encadrent les jeunes filles ; fréquenter l'église est obligatoire même pour les ouvriers extérieurs. Et peu à peu ce lieu devient une petite ville avec de nombreux services (caisse d'épargne, crèche, terminus de train, laiterie, magasin d'alimentation et d'habillement, infirmerie...) pour compenser de faibles salaires.
Après la Seconde Guerre mondiale, quelques corps de bâtiment sont démontés, le pensionnat est abandonné et l'usine se relance dans les années 70 avec la production de velours et la collaboration avec la haute-couture mais, en 2001, elle ferme définitivement et est rachetée par le département de l'Ain. La soie est désormais produite essentiellement en Asie du Sud-Est (longtemps au Japon, désormais en Chine) et un peu au Brésil. Des entreprises locales comme Sfate à côté de Bourgoin Jallieu fabriquent la mousseline de soie et pratiquent la peinture sur soie — l'expo YSL du Musée des Tissus à Lyon les mettaient à l'honneur en 2019.
Il subsiste cette histoire et toutes ces machines — 300 000 objets sont consignés ici dont 74 métiers à tisser datant pour la plupart des années 1930. La visite est particulièrement riche de cette industrie mais aussi de l'histoire sociale qui se déploie dans une autre salle avec photos du pensionnat, emploi du temps, menus de la cantine ou encore objets du quotidien. Enfin, cette époque n'est pas figée, la soierie vit toujours grâce entre autres à des artistes contemporains invités à dialoguer avec l'Histoire. C'est le cas jusqu'au 14 novembre de Karine Proriol qui, avec ses installations à base de cocons de vers à soie, tisse de magnifiques axes dans les interstices de lumière de l'usine.
Soieries Bonnet
19 bis rue Claude Joseph Bonnet, 01640 Jujurieux
T. 04 74 36 86 65
Ouvert du 1er avril au 15 novembre, du mar au dim de 10h à 13h et de 14h à 18h30
Tarifs : 4, 5€/6, 6€
Musée et ateliers – Croix-Rousse
Si l'industrie de la soie a été installée à Lyon par François Ier en 1536 et qu'elle a prospéré dans le Vieux-Lyon, elle s'est déplacée au début des années 1800 sur les pentes de la Croix-Rousse car le métier à tisser Jacquard fait alors son apparition et nécessite des espaces hauts (4 mètres sous plafond) et lumineux. Toute cette histoire est détaillée à la Maison des Canuts qui rappelle que ce fils de maitre-tisseur (canut) a combiné des inventions précédentes afin de supprimer le poste pénible de tireur de lacs (les cordes de la machine). Mais pour la voir fonctionner, il faut se rendre non loin, aux deux ateliers de Soierie Vivante car, face à la complexité (et la beauté) de ces outils, rien ne vaut une démonstration dans les murs même d'un appartement d'époque.
Se rendre en ces lieux est aussi une manière de se souvenir qu'avec la révolte des canuts de 1831 et 1834 (qui causèrent respectivement la mort de 600 puis 322 personnes) puis 1848, se dessine, auprès des marchands (soyeux), des revendications ouvrières qui auront un écho dans le monde entier. Il est simplement question de se battre pour un salaire minimum qui leur est accordé mais pas appliqué.
En 1830, la fabrique de la soie concerne un Lyonnais sur deux et un tiers des produits manufacturés exportés par la France en 1830 sort d'une soierie lyonnaise ! Au XXe siècle cette industrie décline avec l'arrivée des métiers mécaniques. Aujourd'hui, il subsiste encore quelques métiers Jacquard en fonction dans le Nord-Isère, l'Ain ou même à la Croix-Rousse (l'entreprise Prelle) notamment pour la restauration de pièces de monuments historiques.
La Maison des Canuts
10 rue d'Ivry, Lyon 4e
T. 04 78 28 62 04
Ouvert du mar au ven de 10h à 13h et de 14h à 18h, sam de 10h à 18h
Tarifs : 1€/2€
Soierie vivante
T. 04 78 27 17 13
Atelier de passementerie : 21 rue Richan, Lyon 4e, du mar au sam, visite guidée et démonstration à 14h et 16h
Atelier de tissage, 13 bis rue Justin Godard, Lyon 4e, du mar au sam, visite guidée et démonstration à 15h et 17h
7€ une visite / 10€ les deux