Théâtre / Dans "Il ne m'est jamais rien arrivé", Vincent Dedienne donne corps aux mots du journal de Jean-Luc Lagarce, comète du théâtre français de la fin du siècle dernier. Un spectacle humble, drôle et émouvant à la fois, portrait d'une époque pas si lointaine violemment chamboulée par le sida. À voir au théâtre de la Croix-Rousse dans le cadre des Nuits de Fourvière.
Bien avant d'être médiatiquement connu et reconnu grâce à sa casquette d'humoriste, Vincent Dedienne était un épatant comédien de théâtre – ce qu'il est toujours, soit dit en passant. Avant cela encore, Vincent Dedienne était un apprenti comédien qui dévorait les grands textes en s'imaginant les déclamer un jour sous les feux de la rampe. Dans son panthéon informel d'étudiant, Jean-Luc Lagarce (1957-1995) occupait alors une place centrale avec sa langue particulière « qui cherche à s'améliorer » ; langue faite de précisions, de retours et d'envolées : « J'ai l'impression que quand je raisonne dans ma tête, c'est comme ça que je parle » explique-t-il souvent (ici à France Culture et à Têtu).
Bizarrement, plus d'une quinzaine d'années après ses premiers pas professionnels, il n'avait toujours pas joué les mots de celui qui a notamment écrit la pièce devenue culte Juste la fin du monde, d'ailleurs portée au cinéma par Xavier Dolan. Un manque flagrant dans une carrière pourtant riche et protéiforme entre théâtre, humour, cinéma et télévision. Ce manque, Vincent Dedienne vient enfin de le combler, en tandem avec le metteur en scène Johanny Bert, et par deux fois. Autant faire les choses en grand quand on s'attaque à son idole.
Vincent la malice
Début janvier à Paris, Johanny Bert a ainsi dévoilé deux spectacles autour de l'œuvre de Lagarce avec, dans chacun, Vincent Dedienne. D'abord Juste la fin du monde, texte pour cinq interprètes ; puis Il ne m'est jamais rien arrivé, adaptation ciselée du journal de Jean-Luc Lagarce s'étalant de 1977 à 1995 que Vincent Dedienne a architecturée et qu'il incarne sur le plateau aux côtés d'une illustratrice. Alors que Juste la fin du monde devait être la création phare, celle censée remplir les salles (ce qu'elle a fait en avril dernier au théâtre de la Croix-Rousse), c'est finalement la seconde, moins mise en avant, qui s'est avérée la plus intéressante, la plus puissante, la plus inattendue.
De l'imposant journal à l'aura plutôt confidentielle de Lagarce, matériau pas forcément scénique de prime abord, Vincent Dedienne a extrait des moments évoquant autant la solitude de l'artiste que les rencontres foisonnantes avec des garçons de passage, jusqu'au sida qui emporta Lagarce au milieu des années 1990 : des pages à la fois émouvantes et pleines de vie. Loin de la solennité propre au fan révérencieux, voire pétrifié, il s'en est emparé avec malice, faisant tout simplement sienne la prose du dramaturge, qu'il livre façon stand-up. Un peu comme si ce Il ne m'est jamais rien arrivé (une phrase de Lagarce, qui adorait disserter sur sa vie) était son nouveau seul-en-scène, prolongement de son premier et très intime S'il se passe quelque chose. De magnifiques résonances jusqu'aux titres.
Il ne m'est jamais rien arrivé
Du 4 au 6 juin au théâtre de la Croix-Rousse (Lyon 4e) ; de 20 à 32€
Dans le cadre des Nuits de Fourvière
