Parlez-moi de la pluie

Le troisième film d’Agnès Jaoui reprend, avec un peu trop d’évidence, les thèmes développés dans les deux précédents, mais y fait entrer une nouvelle figure : Jamel Debbouze, impressionnante raison d’être de cette comédie douce-amère. Christophe Chabert

Il arrive à Agnès Jaoui ce qui est arrivé, au mitan des années 80, à Woody Allen (cinéaste qu’elle a toujours considéré comme un modèle) : une sensation de redite brillante, de trop grande maîtrise dans l’écriture et de sécurité tranquille dans la mise en scène, invisible plutôt que transparente. Son nouveau film, Parlez-moi de la pluie, s’articule autour de deux axes : un reportage autour d’une femme se lançant en politique et ses retrouvailles avec sa sœur dans la maison familiale. Jaoui y reprend le thème de Comme une image : les rapports de vassalité entre ceux qui sont destinés, par atavisme ou par ambition, à réussir et ceux qui avancent dans la vie avec un pied-bot social. Quant aux difficiles relations humaines au sein d’une fratrie, Jaoui les avait déjà évoqués comme auteur dans Un air de famille et Cuisines et dépendances. La présence, formidable mais familière, de Jean-Pierre Bacri en documentariste mytho, rajoute à cette sensation d’être en territoire déjà connu. Certes, les dialogues sont brillants, les situations justes, parfois hilarantes, et l’envie d’élaborer un discours en conservant une subtile dialectique est louable. Mais l’atout majeur de Parlez-moi de la pluie, sa singularité, est ailleurs.

Pour et avec Jamel

Le désir, évident, de Jaoui avec ce troisième film a été d’écrire et de confier à Jamel Debbouze un vrai beau rôle, du sur mesure qui serait aussi un joli contre-emploi. Il est donc Karim, réceptionniste dans un hôtel de Province cherchant à réaliser une série documentaire sur les femmes qui réussissent et dont le premier sujet est Agathe Villanova, grande bourgeoise qui, ce n’est pas un hasard, est aussi l’employeur de sa mère, bonne à tout faire au dos voûté par des années de service. Ces restes de colonialisme, d’autant plus ambigus qu’ils s’accompagnent de réels actes de générosité (Villanova l’a aidée à divorcer d’un mari abusif) ont développé chez Karim une envie de revanche et une suspicion naturelle envers ceux qui détiennent le pouvoir. Mais c’est sans violence que cette vengeance s’exerce, par la force de la parole, puis de l’image et du montage. L’intelligence de Karim, Villanova finira par l’accepter avec une condescendance qui est un réflexe de classe ; elle ne cherchera ni à la combattre, ni à s’y plier. Quant à l’intelligence de Debbouze, elle tient à cette souplesse qui lui permet d’être drôle, émouvant, tendre ou inquiet sans jamais forcer la note. Les scènes entre Karim et sa mère sont sans doute parmi les plus belles jamais filmées par Jaoui : il y circule une liberté et une vérité qui tiennent beaucoup à la personnalité de ce comédien formidable qui organise avec pertinence sa rareté sur le grand écran.

Parlez-moi de la pluie
De et avec Agnès Jaoui (Fr, 1h38) avec Jean-Pierre Bacri, Jamel Debbouze…

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