Des hommes et des dieux

Les derniers jours des moines de Tibéhirine reconstitués par un Xavier Beauvois fasciné par son sujet, mais peu inspiré dans sa mise en scène, qui emprunte les chemins les plus attendus et évacue systématiquement le politique au profit du religieux. Christophe Chabert

Des hommes et des dieux, ce n’est pas 12 hommes en colère, mais 7 moines en paix. Comme pour son précédent Petit lieutenant, qui prenait ses aises avec le polar tout en en respectant les lieux communs, Xavier Beauvois retrace les derniers jours des moines de Tibéhirine avant leur massacre dans les montagnes de l’Atlas algérien en détournant les codes du huis clos «cas de conscience». Pas de procès cependant ; la décision finale n’a de conséquence que pour ceux qui la prennent : partir en abandonnant sa mission ou rester quitte à y laisser la vie.

Le scénario du film est donc rythmé par trois grandes scènes de réunion où chacun doit prendre position, donner ses raisons puis finalement participer au vote. Le reste du temps, Beauvois alterne entre plusieurs modes de récit : la rencontre entre les moines et les habitants du village (les moments les plus libres du film, quoique non exempts de facilités didactiques), l’irruption des terroristes puis de l’armée au sein du monastère et les rituels liturgiques filmés dans leur continuité.

Le goût du sacré

Si le cinéaste fait preuve d’une indéniable maîtrise (Des hommes et des dieux ne commet à vrai dire aucune fausse note : les acteurs sont excellents, le rythme lent mais au diapason de ce que le film raconte), il n’arrive jamais à se départir des choix particulièrement scolaires de sa mise en scène. Découpage en gros plans des scènes de dialogue autour de la table, plans fixes implacablement composés pour les scènes de culte, caméra à l’épaule quand les moines se confrontent au trouble venu de l’extérieur…

Cet académisme rampant, souligné par la lumière pléonasme de la chef opératrice Caroline Champetier, révèle aussi les limites du point de vue adopté par Beauvois : à aucun moment il ne questionne l’engagement des moines, leur présence sur le sol algérien (vieux reste colonialiste transformé, par la force des choses, en mission humanitaire ?) et même la légitimité de leur foi. C’est que le cinéaste est absolument fasciné par le cérémonial chrétien et acquis à la cause de ceux qui l’incarnent, évacuant le politique au profit du sacré.

Pour peu que l’on se sente étranger à la question (ce qui, jusqu’à nouvel ordre, est autorisé en France), on verra Des hommes et des dieux comme une comédie musicale avec des moines ou comme un exposé sans rature convergeant vers un moment d’émotion efficace mais très fabriqué : l’écoute, larme à l’œil et gorge serrée, d’un Lac des cygnes requiem. Amen !

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