Winter Sleep

Palme d’or du dernier festival de Cannes, ce long et passionnant film de Nuri Bilge Ceylan inscrit désormais le cinéaste comme un héritier d’une haute idée du cinéma, empruntant au théâtre et à la littérature pour s’approcher au plus près de l’âme humaine. Christophe Chabert

Un hôtel perdu dans les majestueux décors de l’Anatolie ; l’automne est en train de se terminer. «Voici venu l’hiver de notre déplaisir» disait le Duc de Gloucester en ouverture de Richard III ; l’hôtel s’appelle justement Othello, et son propriétaire, Aydin, règne sur ce bout de terre comme un roi fatigué, un Lear sans descendance mais entouré d’une femme beaucoup plus jeune et d’une sœur que les mauvais coups de la vie ont conduit à se réfugier ici. Aydin est un ancien acteur, mais c’est aussi un éditorialiste pétri de prétentions ; c’est surtout un héritier, ce que le premier mouvement de Winter Sleep vient exposer avec ce sens de la durée romanesque qu’a adoptée Nuri Bilge Ceylan depuis Il était une fois en Anatolie.

Aydin et son homme à tout faire descendent au village réclamer un loyer impayé ; en chemin, la vitre de leur véhicule est fracassée par une pierre lancée par l’enfant du locataire en faute. Une image magnifique qui fait entrer une inquiétude sourde dans le cours des événements, comme le cinéaste en placera à intervalles réguliers dans une œuvre portée avant tout par ses dialogues admirables.

 

Tyran anatolien

On a beaucoup parlé de la longueur de Winter Sleep — 3h16 ; si on peut regretter que le film soit montré en un seul bloc sans entracte, alors qu’il mériterait, comme au théâtre, une respiration pour le spectateur, c’est bien de cette durée fleuve qu’il tire sa force. Car il faut du temps et de la patience pour fouiller à ce point l’âme d’un homme aussi tortueux qu’Aydin, dont le sourire et la bonhomie cachent en vérité des abîmes d’égoïsme et de cruauté, pour qui l’argent est un remède infaillible permettant d’acheter le respect de sa femme ou le silence de sa sœur.

Si les affrontements verbaux qui en découlent donnent lieu aux moments les plus vertigineux et éblouissants du film, c’est souvent dans les à-côtés du récit que Ceylan dit la vérité du film. Ainsi de ce cheval, acheté pour contrer la remarque, pourtant anodine, d’un client concernant la brochure de l’hôtel ; ou cet acte d’allégeance et de contrition qu’on croirait sorti du Parrain. Autant de détails qui posent le caractère orgueilleux et tyrannique d’Aydin. Si Ceylan se place sous l’égide revendiquée de Shakespeare, c’est avant tout à Tchekhov, Dostoievski ou Bergman auxquels on pense devant son film ; des auteurs qui ont tous incarné une haute idée de l’art européen, dont le cinéaste turc est aujourd’hui le plus flamboyant continuateur.

 

Winter sleep
De Nuri Bilge Ceylan (Turquie, 3h16) avec Haluk Bilginer, Melisa Sözen…
Sortie le 6 août

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