Du rififi à Théo Argence

La programmation 2014/2015 du théâtre Théo Argence, élaborée comme il se doit par sa directrice Anne Courel, est en grande partie contestée par la nouvelle municipalité de Saint-Priest. Récit d'une discorde. Nadja Pobel

Toujours pas de plaquette de saison 2014/2015 à Saint-Priest, alors que celles de tous les autres lieux de l’agglomération nous sont déjà parvenues. Et pour cause : à Saint-Priest comme à Roanne, la nouvelle municipalité (UMP) se met en travers de l’équipe aux manettes du théâtre municipal. Si à Roanne le directeur, Abdelwaheb Sefsaf, a été renvoyé sans ménagement, au motif d’un vice de procédure qui tombait à pic, rien de tel ici. Toutefois, il semble que la légitimité de la directrice actuelle du Théâtre Théo Argence, Anne Courel, soit insidieusement remise en cause par M. Gilles Gascon et son équipe.

Selon nos informations, c’est plus de la moitié de la programmation 2014-2015 qui a été contestée par l’équipe municipale peu de temps après sa prise de fonction au printemps. Aucun des contrats n’était encore signé (le théâtre étant en régie directe, c’est précisément au maire qu'il revient de parapher les contrats), mais au moment des élections municipales, fin mars, comme dans tous les théâtres de France, la programmation était calée depuis plusieurs semaines déjà. Seuls spectacles rendus publics à ce jour : celui de la Biennale de la danse, qui annonce dans sa plaquette Coupé décalé par les chorégraphes Robyn Orlin et James Carlès pour le 26 septembre (une date depuis annulée, au contraire celle du 24 septembre au centre Charlie Chaplin), et Elle brûle (de Mariette Navarro, mise en scène Caroline Guiela Nguyen), une co-production avec la Comédie de Valence également écartée de la programmation du TTA, au mépris d'un manque à gagner conséquent pouir l'équipe de Richard Brunel, privée d’une représentation après son inscription au calendrier de tournée.

Coupe claire

Sur les 37 spectacles engagés par Anne Courel, seuls 17 seraient ainsi conservés, dans l'optique de proposer un contenu moins "élitiste". Mourad Merzouki fait partie des chanceux : il nous a confirmé récemment que son (impeccable) Répertoire #1 jouerait bien les 4 et 5 décembre. Mais quid des écritures contemporaines, au moment où le TTA est pressenti pour être conventionné et, de fait, soutenu financièrement par la DRAC ? Tandis que le travail de Mariette Navarro a été écarté alors qu’elle est une auteur montante, Samuel Gallet, pourtant connu pour ses travaux participatifs, a lui été mis sur la touche par l'arrêt de La Fabrique, programme développé par Anne Courel à son arrivée en 2010 et auquel participaient chaque année un millier de san-priots. 

Au-delà de cette action, Anne Courel s’est à de nombreuses reprises fait forte, au fil des quatre saisons passées,  de proposer des mises en scènes dont l'inventivité n'entre pas en contradiction avec l'idée d'accessibilité, notamment aux adolescents, voire aux enfants. Au contraire : créé à Théo Argence, T.I.N.A. s'est même révélé trop didactique. Hormis ce bémol, son théâtre fut en la matière un lieu d’expériences souvent fructueuses, à l'image de Cent culottes et sans papier (sur des souvenirs de guerre mis en mots par Sylvain Levey) ou Alice pour le moment, tous deux mis en scène par Anne Courel elle-même. Le très technique et mélancolique Tête haute (Jouanneau / Teste) est aussi passé par ces mus. Le brassage des publics fut aussi au coeur des partenariats avec la Biennale de la danse et du parcours Scène Est (développé avec le Toboggan de Décines, le Théâtre Albert Camus de Bron, le Centre Charlie Chaplin de Vaulx-en-Velin, le Théâtre de Vénissieux et le Polaris de Corbas), ainsi que du festival Micro Mondes, qui l'an passé investit notamment le square Louis Braille, au pied des habitations d'un public profane et pourtant prêt à braver le froid, la nuit et l'exiguité d'un camion pour voir à l'oeuvre les épatants acrobates du Circ’Ombelico.

Consciente de ces efforts, l’opposition de gauche a publié ce mercredi une lettre ouverte dans laquelle elle souligne le mécontentement de ses concitoyens : «Nous sommes sollicités depuis plusieurs semaines par des habitants de Saint-Priest, qui manifestent une grande inquiétude quant à l'avenir des actions du théâtre Théo Argence... Devant l'ampleur prise par ce mouvement d'inquiétude, nous vous demandons de solennellement nous éclairer rapidement sur cette situation et sur les intentions de votre équipe».

«Pas de révolution» 

Pressée d'y répondre hier soir en conseil municipal, Madame Catherine Lavale, première adjointe à la politique de la ville, au logement et à la culture, a éclairci la position de sa municipalité par la lecture du communiqué suivant :

Il a été clairement affiché, dès la campagne électorale, par l’équipe municipale nouvellement élue, son souhait de faire évoluer en partie et enrichir la programmation du Théâtre municipal, afin de l’ouvrir à un plus large public. La nouvelle municipalité a, en effet, considéré que les programmations antérieures, malgré toutes leurs qualités, ne correspondaient pas suffisamment à la multiplicité des demandes et publics constitués par la population san priote.

Dès ses prises de fonctions, la majorité et notamment son adjointe aux affaires culturelles s’est vu proposer, conformément aux règles existantes depuis de nombreuses années à Saint-Priest, des choix de programmation afin de construire la saison à venir. Il faut préciser qu’aucun engagement n’avait été formellement pris avec les différents prestataires de spectacles. Aussi, dans la multiplicité des propositions faites par l’équipe des fonctionnaires municipaux, la municipalité a retenu 57% des spectacles présentés et demandé aux agents du théâtre de nouvelles propositions pour les 43% restants afin de répondre au souhait de programmation plus large dans ses publics et dans ses thèmes.

On est, on le voit, bien loin d’une remise en cause totale et révolutionnaire de quoi que ce soit».

Quant à la compagnie Ariadne d’Anne Courel et sa Fabrique, ils sont priés de déguerpir : «Cette compagnie théâtrale, poursuit en effet Madame Laval, privée et indépendante, dont le siège social est basé à Bourgoin-Jallieu, avait effectivement "pris ses quartiers" au théâtre municipal Théo Argence, qui était devenu son principal sinon unique commanditaire. Dans ce cadre, depuis 2010, plus de 400 000 euros ont été versés par la municipalité à cette compagnie pour ses prestations.

Il a effectivement été décidé par la nouvelle municipalité de mettre fin à cette collaboration, considérant que son activité basée en quasi-totalité sur le théâtre contemporain ne correspondait pas au choix d’une programmation d’animations culturelles plus variées et adaptées à la multiplicité des demandes san priotes.

C’est donc une grave erreur que d’affirmer que la municipalité a supprimé La Compagnie Ariadne et La Fabrique qui, comme tout organisme privé, a toute liberté de continuer sa vie artistique avec d’autres partenaires qui ne manqueront pas d’être intéressés par ses propositions de qualité.

S’agissant de la Fabrique, au-delà des mots, nous souhaitons que les modalités de participation des citoyens à la vie du théâtre soient appréciées au regard des attentes nouvelles exprimées par les San Priots».

Derrière ces griefs artistiques, se pose évidemment une question économique. Les interventions de La Fabrique en classe ne seront ainsi pas reconduites à la rentrée, la Ville considérant désormais «qu’il est anormal que les collectivités locales aient à financer un service durant le temps scolaire qui appartient à l’Education Nationale. Si l’Etat considère que l’apprentissage du théâtre est une matière nécessaire pendant le temps de l’école, c’est à l’Etat de le financer». D'autant que «la réforme des rythmes scolaires, imposée par l’Etat, va couter cher aux San Priots : 600 000 euros par an. L’Etat ne financera rien ou quasiment rien. Nous n’avons plus les moyens de prendre en charge d’autres animations. Que l’Etat prenne ses responsabilités. Les communes et leurs habitants ne seront pas les "vaches à lait" de lois et décrets qui les engagent financièrement  sans leur accord». Voilà qui est clair.

La programmation de la prochaine saison, elle, ne l'est pour l'heure pas du tout.

 

Mise à jour du 30/06/2014

La compagnie Aridane a rendu publique ce matin sa réponse à la ville de Saint-Priest. Voici son communiqué :

Au nom de la Compagnie ARIADNE, mise au point du président de l’Association Ariadne après le discours de Mme Laval (première adjointe) lors du conseil  municipal du 26 juin 2014 :

Dans ce discours au Conseil Municipal Madame Laval a mis gravement en cause la cie Ariadne et ce faisant, l’honneur de ses membres ; aussi en tant que président de cette association suis-je amené à apporter quelques éclaircissements aux habitants de St-Priest.

 

  • Madame Laval a déclaré que l’Association Ariadne «avait  effectivement pris ses quartiers au TTA».

Si l’on veut ainsi parler de la présence de l’association au sein du théâtre, cette présence est encadrée par des conventions passées entre la ville et notre association dont celle de juillet 2013 qui stipule la mise à disposition d’un local nu (les charges afférentes restant bien entendu de notre responsabilité) ; ce dispositif, en  raccourcissant les distances a permis d’optimiser le travail pour lequel notre association s’est engagée dès 2010. Car notre présence, c’est d’abord ce patient travail de sensibilisation, de découverte et de création artistique.

Madame Laval indique que «plus de 400 000€ ont été versés par la municipalité à cette compagnie».

Donnons quelques éclaircissements : dans cette somme 348 411€ ont permis de financer sur 4 ans et demi le travail de la Fabrique et 66 025€ l’achat des spectacles de la cie Ariadne (21 représentations depuis 2010). Il serait juste de préciser que ces coûts ont été supporté par de nombreux partenaires puisque le travail de la Fabrique, dont l’intérêt est reconnu par le Département, la Région et l’Etat, est largement financé (et l’est encore aujourd’hui)  par des  subventions dédiées de ces collectivités à la  ville de Saint-Priest. Les sommes versées à l’association ont été exclusivement utilisées pour rémunérer des professionnels. Les tableaux mensuels validés par l’administration que nous fournissons depuis le début à la mairie attestent  ligne par ligne des activités théâtrales des artistes avec les San-Priots de tous horizons. Elles ne comprennent pas les salaires et charges liés à la gestion la  coordination et l’administration des nombreux projets de la Fabrique ; nous mettons un point d’honneur à participer ainsi à la vie de la commune et non d’y «prendre nos quartiers». Pour ce qui est des achats de représentations chacun peut mesurer combien sont raisonnables les montants engagés.

 

  • Madame la Première adjointe assure que le TTA serait devenu le «principal, sinon unique commanditaire» de la cie Aridane :

Pourquoi ces insinuations aussi inexactes que blessantes sur un point dont Madame La Première Adjointe ignore tout ?

Depuis mars 2010 notre association  a donné 190  représentations des pièces de son répertoire. Parmi ces représentations, seules 21 ont eu lieu au TTA ou sur la commune de Saint-Priest (nombreux sont les spectateurs qui se souviennent des représentations au Château du «Roi s’amuse» de Victor Hugo, auteur à jamais contemporain…) Par ailleurs, les prestations de la Fabrique dont il a été fait état plus haut représentent  sur cinq exercices 21% de nos budgets cumulés. Notre association investit  beaucoup à  St Priest, mais elle reste, et ces chiffres le montrent, une compagnie qui travaille dans un réseau  régional et national avec des partenaires très divers.

Madame la première Adjointe déclare que c’est «une grave erreur»  que d’affirmer que «la municipalité a supprimé la Cie Aridane» elle a raison : notre association, qui a créé des spectacles depuis 1983 en France et en Europe, entend bien poursuivre sa route forte  de plus de 50 professionnels engagés à ses côtés pour ses tournées.

 

  • Pour en finir avec la présence de notre association Madame la Première adjointe déclare : «Il a effectivement été décidé par la nouvelle municipalité de mettre fin à cette collaboration» :

Au jour où cette annonce a été faite publiquement, aucun des responsables de l’Association n’a été directement informé. Ce manque de considération aurait-il dû  nous surprendre ?

En tous cas, cette déclaration confirme que la municipalité, en dépit des affirmations de Madame la première Adjointe, a décidé de supprimer la Fabrique. Elle a pour conséquence la mise en cause  de l’ emploi  de douze personnes, qui se retrouvent sans information officielle, dans l’obligation de réorganiser toute la saison à venir. Quand seront effectives ces suppressions ? Cette question ne peut être traitée avec la légèreté qui a caractérisé son annonce. C’est pour cette raison que nous sommes conduits à solliciter auprès de M le Maire un entretien que nous souhaitons constructif.

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