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Philip Glass : de l'autre côté du miroir
Par Stéphane Duchêne
Publié Vendredi 10 janvier 2014 - 9364 lectures
Philip Glass
Théâtre de la Renaissance
ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement
En écho au festival stéphanois Nouveau Siècle, Philip Glass, 76 ans, investit pour un soir le théâtre de la Renaissance. Au programme, un récital des œuvres les plus marquantes pour piano solo de celui qui est présenté tantôt comme le plus populaire des minimalistes répétitifs, tantôt comme le plus répétitif des minimalistes populaires. Explications. Stéphane Duchêne
A l'image du minimalisme dont il est issu et auquel on continue de le rattacher aujourd'hui, Philip Glass a fait l’objet de nombreux débats d'initiés, souffrant de la comparaison avec la musique savante plus complexe, mais aussi coupable d'avoir su trouver un public et connu un important rayonnement. En gros, de s'être fourvoyé, d'avoir vendu son âme à la pop, et le tout sans trop se fouler la couenne.
De Glass, le violoniste David Harrington, fondateur du Kronos Quartet – complice régulier du compositeur – a ainsi dit en février 2012 dans le Village Voice : «Certains musiciens méprisent ouvertement sa musique, arguant qu’elle est simple, voire simpliste (…). Ils feraient mieux d’essayer d’en faire autant. La musique de Philip requiert la plus extrême clarté d’interprétation de sons, de tons, de rythmes que l’on puisse musicalement imaginer. Il développe une impulsion, une humeur et un type de texture uniques à travers le seul usage de la répétition».
Sutra
Bien sûr, on arguera qu’il n’y a pas de fumée sans feu et l’on aura sans doute raison, car le style, la méthode, le label Philip Glass, sa tendance à l’auto-citation – fruit de la répétition fondatrice de son art ? – n’y sont sans doute pas pour rien. Sauf qu'à y regarder de plus près, ce qu'on prend volontiers pour des tics ou un procédé n'en traduit pas moins une évolution parfois presque aussi imperceptible que les variations à l’œuvre dans ses morceaux : «L’écriture arpégée en strates successives, écrit Philippe Guida en 2004 dans Interval(l)es, l’harmonie épurée et non fonctionnelle, sont dans la suite logique de l’écriture en processus d’addition et de soustraction d’unités» [utilisée par Glass dans les années 60, sa véritable période d'exploration du minimalisme répétitif, NDLR]. En clair, Glass a su inventer et développer son propre langage musical centré sur une gestion singulière du temps et la subtilité des rapports entre thème et variations.
De fait, les œuvres présentées au Théâtre de la Renaissance, fruits d’une période – les années 80 et 90 – où se succèdent les pièces pour piano solo, sont particulièrement emblématiques du style Glass, en écho à cette fameuse période "additive" : Les Métamorphoses et son premier volume d’Etudes, "post-minimalistes", pour piano ; Mad Rush, écrit pour le dalaï-lama ; mais aussi Wichita Vortex Sutra, composé en 1988 pour les vingt ans du poème pacifiste éponyme d’Allen Ginsberg. Glass s'y montre particulièrement en phase avec la scansion hypnotique et mediumnique du poète beat, prise dans le martèlement de la répétition – les deux hommes partagent d'ailleurs la même appétence pour la poétique, la rythmique et la mystique indienne. La musique orientale joue en rôle fondamental dans le creuset d'influences d'un compositeur qui ne se réclame pas plus de Schubert ou du Clavier bien tempéré de Bach que des motifs répétitifs de Ravi Shankar ou du... théâtre de Beckett. Sans parler de l'art de la variation des cinéastes de la Nouvelle Vague, découverts lors de ses années de formation parisienne.
«Où suis-je ?»
L’évolution du langage musical évoqué plus haut aura donc aussi été largement inspirée par les arts visuels devenus, par un juste retour des choses, quasiment indissociables de son œuvre – voir le triomphe de chaque nouvelle représentation de l'ovniesque et intemporel Einstein on the Beach. Mais c'est aussi sans doute, par retour de bâton et confusion, ce qui a valu à Glass d'être souvent accusé de manger à tous les râteliers, d'avoir fricoté avec Hollywood et la pop pour le meilleur (BO de Mishima, Icct Hedral d'Aphex Twin) mais aussi pour le pire (Candyman 2, Songs from Liquid days) quand lui ne cherche, comme il le dit dans Phil Glass, l'art de la reprise, qu'à se «placer dans une situation inconfortable», considérant que «l’enjeu le plus important pour un compositeur d’aujourd’hui est de trouver de nouveaux modes de pensée». Un paradoxe eu égard au principe répétitif ? Pas si l'on considère que la répétition chez Glass n'est qu'une manière de laisser la porte entrouverte au changement, au glissement, aussi léger soit-il du moment que le mouvement est perpétuel – parfois, les musiciens qui l'accompagnent s'y perdent, David Harrington confiant que le plus gros défi lorsqu'on joue avec Glass est de pouvoir répondre à la fréquente question «Où suis-je ?».
«Chez Philip Glass, écrit encore Philippe Guida, le minimalisme est avant tout un langage source sujet à une constante mutation et en recherche de nouveauté (…), pas une finalité en soi mais une formule proposant des possibilités d’ouverture (...). La stratégie minimaliste de Glass a toujours pour but de créer un lien avec le spectateur ; l’œuvre existe et doit vivre uniquement dans son rapport avec le public. Peut-être l’enjeu le plus important du minimalisme de Glass aujourd’hui est-il d’ouvrir les portes de la musique au plus grand nombre, d’où cette volonté de toujours renouveler ses formules et d’aller à la recherche du spectateur». Bref à chercher, par la grâce de l'évocation et au risque du malentendu, à ce que, comme chez Duchamp, «le regard fasse l’œuvre».
Philip Glass
Au Théâtre de la Renaissance, samedi 18 janvier
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