Théo Charaf : zone d'inconfort

Vu au sein de formations bruitistes notables comme les Beaten Brats ou les Scaners, le Croix-Roussien Théo Charaf est en train de mettre tout le monde d'accord avec son premier album solo renversant, beau spécimen d'hybride grunge-folk, dont la sortie avait été repoussée à fin janvier. En octobre, nous avions rencontré ce punk farouche, dévoré, à tous les sens du terme, par le blues.

Par Stéphane Duchêne

Son premier album n'est même pas encore sorti – c'est pour le 22 janvier – que Théo Charaf est déjà présenté comme un phénomène par un certain nombre de professionnels de la profession. Quand nous l'avions rencontré en octobre dernier, la publication de l'album était prévue pour novembre, une mise sur orbite live étant prévue à l'Épicerie Moderne en compagnie du prince du fingerpicking lyonnais Raoul Vignal. Le disque nous avait à ce point tapé dans l'œil et surtout l'oreille, que nous comptions lui consacrer la Une d'un numéro qui ne sortirait jamais : le lendemain de cette rencontre, la Covid-19 nous reconfinait et toute forme de projet culturel retombait à l'eau en éclaboussant toute la chaîne. Le concert de l’Épicerie aurait donc lieu en maxi catimini en Facebook live quand l'album se voyait repoussé à des calendes pas forcément grecques s'échouant quelque part courant janvier.

Sauf qu'entre temps, le disque en question était tombé dans pas mal de mains, impressionnant son monde à une très large échelle, de FIP à Causette, de FranceTV Info à Rolling Stone, du site Soul Kitchen à Gonzaï, sans oublier quelques institutions locales (Le Progrès, Sol FM, Radio Bellevue, Crock Radio...). Quasi systématiquement, le jeune Lyonnais y était présenté comme un successeur plus que digne de la Statue du Commandeur folk Neil Young. Ça pourrait tomber plus mal, le Loner étant ni plus ni moins que son vénéré maître étalon.

Théo n'en espère pas tant, en cet après-midi d'octobre, attablé devant un whisky à la terrasse du Paddy's Corner, rapidement identifié comme son QG à sa manière d'y prendre ses aises, et genre de dernier pub avant la fin du monde prévue pour le lendemain. Pour tout dire il n'en mène pas très large, Théo, rapport au fait que l'album serait pour le musicien le genre de strip-tease intégral que les grands timides – ce qu'il dit être – s'autorisent presque contre leur gré dans un moment d'égarement. Histoire de se titiller la zone de confort et manière de briser pour de bon quelques chaînes. Tant pis si au final, comme dans un rêve un peu gênant, on se retrouve à poil sur la place du village.

Fondu dans le blues

Dans son village à lui, le plateau de la Croix-Rousse, où il est né et dont il n'a jamais bougé, Théo semble connaître tout le monde, discutant le bout de gras avec quelques passants le reconnaissant, de la prof de musique du lycée au SDF venu gratter une cigarette et même deux tant qu'on y est. Un poisson dans l'eau, Théo Charaf, à la Croix-Rousse : « je suis amoureux de cet endroit, il y a un truc spécial à être né ici », lâche-t-il assez vite sans davantage développer, déplorant simplement la gentrification rampante du quartier. On sent néanmoins qu'il en faudra un peu plus qu'une invasion de bobos à poussettes ou une insurrection gluten-free pour venir l'en déloger.

À la Croix-Rousse, Théo a tout vécu, à commencer par ses premières aventures musicales, entamées au sein de groupes dès l'âge de 13 ans et dans les faits bien avant. Il l'avoue, la découverte de la musique aura été chez lui un rien bordélique. Confessant même, avec une certaine tendresse pour cette époque, l'inavouable pour un rocker : pendant un temps, il ne jure que par la très mal nommée Skyrock et n'écoute que du rap, et pas nécessairement le meilleur. Avant de se rappeler qu'il a des parents et que ceux-ci, « anciens hippies avec un background musical phénoménal », ont une fameuse collection de grandes galettes noires dans laquelle il finit par piocher sans faire de quartiers : Neil Young, Sweet Smoke, les Stones, Hendrix ou, plus surprenant, la castafiore new-wave Klaus Nomi.

Il faudra pourtant la découverte d'un phénomène du début des années 90 pour que quelque chose se passe : les Guns N' Roses et la voix de porte rouillée de son Axl Rose. Dans la foulée Théo tire ensuite jusqu'à une autre bande de chevelus permanentés : Led Zeppelin (« L'image de la rock star m'a fait très envie, même si j'ai vite compris que ce n'était pas le bon truc, aujourd'hui je suis un peu revenu de mon trip Robert Plant » rigole-t-il) qui fait lui-même « le lien avec énormément de choses », le laissant à la porte d'un univers qui recouvre tout, à savoir, le blues : « Robert Johnson, Willie Dixon, Mississippi John Hurt, Sou House, Skip James, Charley Patton, j'ai littéralement fondu dans le blues. »

Faire et dire n'importe quoi

Comme pour le prouver par l'absurde, où ne pas avoir à trop se dévoiler, Théo fera donc essentiellement… du punk, loisir collectif quand le blues est un sacerdoce solitaire. Car sur le plan pratique, là aussi les choses prennent forme très tôt. Après avoir tenté en vain de convaincre sa mère de lui acheter une batterie (« elle m'a fait comprendre que ce n'était pas un instrument très adapté à une famille modeste et à la vie en HLM »), il se rabat sur la guitare, prend quelques cours à la Condition des Soies, dépasse rapidement le niveau de son professeur « qui avait juste quelques leçons d'avance sur [lui] », avant de parfaire sa formation sur Internet à coups de tutos, de tablatures et de solos appris par cœur pour faire comme les idoles.

Mais la rencontre la plus déterminante n'est pas tant musicale (même si elle l'est dans les grandes largeurs) qu'amicale, que Théo pourrait résumer en une phrase : « en cinquième, je suis devenu très ami avec Pierrick Jullin, futur batteur des Barneurs, des Beaten Brats et des Scaners. » En Pierrick, il trouve un frère d'armes pour faire les siennes, les deux formant un drôle de duo, façon Outsiders chez Coppola : « on portait des perfectos, personne ne comprenait rien à la musique qu'on écoutait. »

Surtout, la famille de Pierrick gravite autour d'un groupe important de la scène punk lyonnaise, les Porcs, où le duo va piocher « une mentalité de liberté, d'accomplissement de soi ». Et pas mal de culture musicale. Pierrick invite Théo à rejoindre les Barneurs. Au programme : « du punk en français, avec la liberté de faire et dire n'importe quoi, de s'habiller n'importe comment ». Théo à 16 ans et après avoir fondu dans le blues, tombe dans le punk comme on entre en religion. Le Trokson sera son église, régulièrement fréquentée par Le Répérateur, Savage Riposte ou Cortona.

« On est rentré de tournée, ils m'ont déposé au Radiant, où je travaillais, et j'ai pleuré sur le parking d'avoir vécu ça »

Les Barneurs creusent alors jusque dans les moindres recoins la scène 77 et tout ce qui en découle : « on faisait grandir notre palette d'influences », confie-t-il avant d'évoquer un autre tournant, celui de l'âge adulte, qui semble donner au groupe une autre vision du punk circus : « on s'est posé la question d'un groupe plus sérieux, avec un message. Le fait d'être devenus entre-temps adultes nous a confronté à la vie et on avait un peu envie de le dire, sans pour autant jouer les sauveurs ». Et ajoute-t-il « sans doute pour se sentir moins seuls ». Une possibilité que Théo semble vouloir repousser le plus loin possible, comme conscient de l'échéance inéluctable où il lui faudra se retrouver avec lui-même. Pour l'heure le groupe est tout ce par quoi Théo accepte de se définir.

Pleurer sur le parking

Les deux compères montent alors les Beaten Brats et la mayonnaise prend presque sans effort : « les gens ont vu qu'on savait faire autre chose que ce qui était un peu affilié à du punk à chien. On a vite fait une démo très bien reçue ». Laquelle, leur ouvre les portes de quelques bonnes maisons comme le Transbo et le CCO, qui suffisent à leur bonheur mais pas à leur boulimie.

Entre-temps, un certain Pav a monté les Scaners, formation punk nourrissant une amusante obsession pour les OVNI et les petits hommes verts et qui fait très vite parler d'elle : « Pav a débauché Pierrick en voyant très bien qu'il avait la meilleur frappe punk du comté », plaisante Théo, mais seulement à moitié. Il ne tarde d'ailleurs pas à les rejoindre sur un coup du sort, comme on gagnerait un concours de circonstances qui marquera pour lui un autre tournant, celui de l'aventure d'une tournée espagnole, dont il garde un souvenir ému. Sans doute parce qu'il s'agit-là de sa première expérience en dehors d'une zone de confort soigneusement préservée :

« leur bassiste, Tama, ne pouvait pas faire la tournée. Ils m'ont appelé un mercredi soir pour le lendemain. J'ai totalement paniqué de cette exposition parce qu'évidemment je ne connaissais pas le répertoire. J'ai appris 14 morceaux dans la nuit, le premier concert était laborieux mais les autres ont été très cool. J'ai compris qu'en étant sorti de ma zone de confort, j'avais reçu en retour la validation de tout ce que je pensais : que ma place était là. On est rentré de tournée, ils m'ont déposé au Radiant, où je travaillais, et j'ai pleuré sur le parking d'avoir vécu ça . »

Un truc pas trop dégueulasse

De là, commence à germer le sentiment qu'il y a peut-être pas mal de choses à voir au-delà de cette fameuse zone de confort revenant sans cesse dans la conversation, que se mettre en danger est peut-être aussi la meilleure manière de se mettre en accord avec soi-même. D'une certaine manière, Théo l'a déjà compris sur le plan professionnel, repoussant de toutes ses forces et très tôt l'idée d'une vie rangée et toute tracée, dont il n'a jamais su trop quoi faire au-delà de l'horizon musical : « à partir du collège ma scolarité a viré à la catastrophe. J'ai voulu arrêter le lycée mais mon dirlo m'a dit " Tu ne vas pas rejoindre ces débiles du BEP" , dans lesquels il y avait d'ailleurs, Pierrick ».

Va pour un bac littéraire option musique, « un truc pas trop dégueulasse », histoire de faire un peu illusion et de marier l'indispensable obtention du "papelard" à l'agréable. Mais même là, Théo déchante assez vite : « je pensais être avec des gens comme moi, manque de bol, il n'y avait que des fils de cathos ou de bourges ultra-hardcore qui allaient tous en arts plastiques pour faire Emile Cohl ou les Beaux-Arts. En musique on était quatre, c'était lamentable ».

Son passage à la fac, déguisé en courant d'air, ne le sera pas moins et se solde par un burn-out « bien vénère » dont l'évocation tombe comme une occasion de confier une certaine inclination à la mélancolie, quelques sérieux soucis avec les interactions sociales qui ne sautent pourtant pas aux yeux, et une certaine aversion pour le travail résumée en cinq mots : « travailler c'est l'enfer ». C'est que peu porté sur les études, Théo s'est vu invité à la place à explorer quelques cercles de cet enfer : la plonge, l'usine, la découpe de bidoche (« pendant une semaine j'ai découpé le même morceau de viande et je me suis enfui »). Il n'y a donc que quand le monde du travail a un lien quelconque avec la musique qu'il nourrit chez Théo un peu d'enthousiasme, en plus de remplir son frigo.

Par chance, ce semblant d'enthousiasme va le rattraper dans un moment de désœuvrement pas loin d'être intégral : « un jour mon ex-beau frère, désespéré par ma situation, m'a appelé alors que je dormais, il m'a dit " il faut que tu travailles, quelqu'un va t'appeler, et surtout ai l'air réveillé.." » Ce quelqu'un c'est Delphine Guillot, des Nuits de Fourvière qui l'embauche comme barman. Suivent la Halle Tony Garnier puis le Radiant, où il devient responsable du bar pour une équipe de 10 à 15 personnes. Des expériences qui, si elles le réconcilient (un peu) avec le travail et une forme de sociabilité, lui font aussi découvrir l'isolement induit par le travail nocturne :

« Dis-donc petit con, ça fait un moment qu'on se tourne autour, il est peut-être temps qu'on cause un peu »

« C’était marrant mais ça isole terriblement, tu commences à 16-17h, tu finis à minuit-1h, tu rentres, tu n'as pas sommeil, et tu te lèves à 15h. Tu vis complètement à l'envers – au final, je crois que ça n'a pas arrangé mon problème avec les interactions sociales ». Au moins, cela contribue-t-il à enclencher un nouveau déclic : « à force de voir Victor Bosch (patron du Radiant) parler showbiz alors que moi j'étais derrière le bar était sacrément frustrant. J'ai ressenti le besoin de faire quelque chose avant qu'il ne soit trop tard. Je ne voulais pas avoir de regrets ».

Épiphanie dans une flaque

Un quelque chose qui aurait à voir avec un obscur et secret projet folk-blues fomenté depuis presque toujours dans l'intimité de la chambre, et qui ne semblait pas destiné à en sortir un jour. Jusqu'à la prise de conscience évoquée plus haut, combinée à une rencontre avec l'ex-tatoueur et illustrateur lyonnais Jean-Luc Navette, figure quasi patriarcale de l'underground lyonnais dont le nom et l'aura de mentor finissent bien souvent par arriver dans une conversation avec un peu près n'importe quel artiste lyonnais préférant la marge aux têtes de gondole : « on se connaissait comme ça et puis un jour il m'a sorti un truc du genre " dis-donc petit con, ça fait un moment qu'on se tourne autour, il est peut-être temps qu'on cause un peu." »

Les deux deviennent potes, font un peu de musique ensemble jusqu'à ce que Navette enjoigne son jeune disciple, qui tente vaguement de l'embrouiller avec une idée de collectif folk, à se sortir les doigts en solo pour présenter au monde son répertoire refoulé. « Il m'a littéralement botté le cul » dit Théo de celui qui dessinera la pochette de l'album, une route qui ne semble viser qu'une direction : le Grand sud. « Il m’a enregistré et a envoyé mes morceaux un peu partout. J'ai eu des retours qui m'ont surpris ». Mieux, Navette lui annonce qu'il va donner son premier concert, dealé dans son dos, et que la chose n'est pas négociable.

C'est à la Maison Mère que Théo monte donc sur scène, pour la première fois seul avec une guitare, acoustique, débarrassé de son habituel barnum punk. Un moment qu'il aborde à l'état de flaque mais qui produit une sorte d'épiphanie pour tout le monde, chanteur comme public. Le concert se transforme en messe, sa musique plongeant les spectateurs dans un silence religieux. Pour un peu on n'entendrait que les mâchoires tomber au sol les unes après les autres, à commencer par celles des gens du label Wita Records et d'Hervé Bessenay du studio Electric Recordings, qui insiste pour enregistrer le "novice". Théo n'ayant pas un sou, le deal est conclu autour d'une bouteille de whisky.

Une demi-heure à respirer

Le chanteur n'a pas assez de mots pour louer le rôle essentiel joué par le producteur lors de l'enregistrement de l'album, enregistré live sur de vieux micros des années 40 – « on a passé une journée rien qu'à les mettre en place ». Pour lui, qui décrit le technicien comme un « dingue de son », c'est un peu la rencontre entre une approche très basique et « un savoir-faire hallucinant » qui donne chair à ces chansons à fleur de peau. « Les morceaux sont à moi mais ils n'auraient rien à voir sans Hervé, si ça ne tenait qu'à moi, il y aurait son nom à côté du mien sur la pochette » conclut-il, plein d'une sincère reconnaissance.

De fait, Théo Charaf a une fâcheuse tendance, tout au long de l'entretien, à minimiser sa part de travail et de talent dans l'ensemble de l'affaire, évoquant des morceaux qu'il maîtrise mal, ou des dispositions limitées pour la composition qui ont tendance à le brider. Cela, l'écoute de l'album a tôt fait de l'effacer, mettant plutôt en avant une sorte de miracle qui aurait permis aux morceaux de venir à Théo sans crier gare. Là encore l'intéressé met cela sur le compte d'une propension à se laisser happer par un spleen qu'il ne pourrait contenir, ni apprivoiser autrement qu'à travers des premiers jets très peu réarrangés.

Et si l'on doit voir dans sa démarche quelque chose qui remonterait au source du Neil, c'est bien dans cette approche minimaliste au croisement du blues séminal et de l'essentialisme grunge, déjà sublimé en son temps par un certain Kurt Cobain lorsqu'il choisissait de débrancher son groupe électrogène. C'est donc un peu l'envers du Charaf punk qui se dévoile à travers le Théo folk, celui de l'ombre, celui qui chante " I'm a vampire, my skin burns when the sun rise". Ou quand les projecteurs s'allument, pourrait-il ajouter. Car ici il joue sans filet, sans un groupe pour éponger ses éventuelles plantades ou atténuer son irrépressible trac : « je passe une demi-heure à respirer avant de monter sur scène alors que jouer de la basse dans un groupe punk, c'est reposant ».

Perforé de part en part

Reposantes, les chansons de l'album pourraient l'être également si elles ne semblaient pas hantées par une âme vieille comme la nuit des temps, une voix profonde et métamorphe, pas loin de rappeler celle de Jeffrey Lee Pierce du Gun Club et qui semble avoir vécu mille vies, éclusé tous les excès et fait les 400 coups en terrains minés. C'est cela qui donne cette belle cohérence à un disque composé à un peu plus de 50 % de morceaux originaux et, pour le reste de reprises, de Skip James (au nombre de deux), Townes Van Zandt ou Bob Dylan (peu probable qu'on ait déjà entendue une reprise plus poignante du Oh Sister du barde nobélisé), qui finissent pour ainsi dire par se confondre, son Forward sonnant comme un classique antédiluvien quand le Waiting Around to Die de Van Zandt passerait pour une création personnelle.

Peu probable qu'on ait déjà entendue une reprise plus poignante du Oh Sister du barde nobélisé

S'il avoue volontiers avoir opté pour ce panachage un peu par nécessité – comprendre : parce qu'il manquait de compositions pour un album d'une dizaine de titres ou un set live entier – le chanteur reconnaît avoir vu dans les reprises visées des résonances troublantes avec son état d'esprit du moment et qui l'ont chacune « perforé de part en part ».

Si bien qu'à l'arrivée, ses interprétations singulières de lycanthrope exsangue, étonnantes dans la bouche d'un type même pas trentenaire, finissent par le détacher de l'ombre de Neil Young pour évoquer des figures aussi diverses que le Springsteen de Nebraska et le méconnu Christian Kjellvander (Going Down), le Canadien à l'âme soul Ray Lamontagne (In Vain), le regretté totem du folk norvégien St. Thomas (See the man) ou même le Johnny Cash des années American Recordings (Vampire), tout cela sans jamais effacer la marque indélébile que ses manières impriment sur n'importe quel morceau, renvoyant, à la fin du bal, toute considération référentielle à la futilité.

Cœur battant sur la table

Au vrai, l'album appartient, et on le reconnaît d'emblée, à cette trempe d'œuvres dont les auteurs ont consenti à déposer leur cœur battant sur la table pour nous en faire l'offrande quasi-christique. Rares sont les artistes qui sont capables d'un tel tour de force, rares surtout sont ceux qui en sont pleinement conscients, seule condition pour rendre l'acte authentiquement bouleversant. Kurt Cobain était de ceux-là. Théo Charaf aussi, pris dans l'étau d'une rage punk et d'un désespoir blues qui se nourrissent l'un l'autre à peine éclairés d'une lueur folk.

Sans doute, et cela il l'avoue, Théo Charaf ne se défera jamais de cette dialectique punk/folk qui lui permet désormais de marcher bizarrement sur ses deux jambes et qu'il résume ainsi : « le punk pour le corps, le folk pour l’esprit. Aller défourailler avec mes potes sur scène avec des gros décibels et beaucoup de connerie, c'est la meilleure façon de vivre pour moi. Le folk c'est une autre forme de catharsis, c'est quelque chose de fondamental, je ne me vois pas abandonner l'un pour l'autre ».

Mais ce qui est également certain, c'est que l'album marque pour lui, outre un début en solo proprement tonitruant, quelque chose comme l'ultime échappée de sa zone de confort, s'offrant par là même un sésame pour toutes les audaces. Quand bien même, le timide effrayé ne se refera pas plus que ne se défera, il n'en a pas intérêt, quand il dit : « C'est la sortie de confort qui fait qu'on avance, même si je tremble tout le temps ». Puissent ces tremblements ne jamais le quitter. Car ce sont précisément eux qui feront frissonner chaque auditeur de l'album.

Théo Charaf, s/t (Wita Records / Dangerhouse Skylab)

Crédits photos : Mona Bonetto