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Entretien / Simon Delétang, directeur du Théâtre Les Ateliers met en scène «Manque» de Sarah Kane. Propos recueillis par Dorotée Aznar

Le Petit Bulletin: «Manque» est une pièce d’un genre un peu particulier. Des personnages sans nom qui parlent, mais ne se répondent pas forcément…
Simon Delétang : Manque est une pièce complexe à mettre en scène. L’écriture de Sarah Kane va vers la disparition du théâtre, elle cherche à investir la poésie comme un champ possible pour son écriture et, avec «Manque», le projet c’est de voir comment un poème peut être théâtral.

Sarah Kane était auteur mais également metteur en scène. Avait-elle imaginé de mettre en scène «Manque» ?

Son idéal pour cette pièce était un théâtre radiophonique sans aucune forme d’illustration, d’incarnation, mais simplement des voix que l’on entend. On ferme les yeux, on écoute, comme une sorte de pièce intérieure, des âmes qui parlent, qui parfois se répondent et parfois non. Sarah Kane s’est inspirée d’une pièce de Fassbinder qui s’appelle Preparadise sorry now qui est une suite de petites séquences où les personnages sont désignés par des lettres et d’un poème de T.S. Eliot, La Tette vaine. Elle a également pris des extraits du Livre de Job, d’une chanson de Nirvana, de la Guerre des étoiles… pour écrire une sorte de partition.

Pourquoi avez-vous décidé de monter cette pièce ?

C’est le directeur de la comédie de Reims qui m’a invité à lire ce texte et à le monter, me disant que cela m’obligerait à me poser des nouvelles questions de mise en scène. Et il n’avait pas tort…

Souvent, les metteurs en scène choissent de montrer «Manque» sur une scène dépouillée, ce n’est pas votre cas.

Effectivement, la plupart du temps, les metteurs en scène choisissent de monter Manque avec quatre acteurs, quatre micros, face public et simplement le texte. Les acteurs sont souvent en jean, ont un style un peu «défonce», un peu «crado». Moi, j’aime monter des pièces quand je les ai déjà vues montées, ça m’aide beaucoup, ça me permet notamment de savoir ce que je n’aime pas… Dans mon travail de mise en scène, je cherche toujours à rendre les choses concrètes, quelle que soit l’écriture, même si elle est poétique. J’essaie de mettre en place un espace où on peut comprendre des choses, même si ce n’est pas ce que l’auteur a écrit. Pour moi, c’est essentiel. Je construis toujours une histoire autour de la pièce.

Vous pouvez ainsi choisir de présenter «Manque» dans des bureaux, alors même que Kane ne parle jamais du monde de l’entreprise dans ce texte.

J’aime considérer la mise en scène comme une écriture parallèle, un univers scénique avec les lumières, les sons, l’espace qui racontent quelque chose ; la mise en scène n’est pas une simple illustration de ce qui est écrit. Les puristes de Sarah Kane me disent que je suis gonflé car je mets la pièce à un endroit qui n’est pas du tout sa destination première, mais c’est cela pour moi faire un spectacle. C’est comme ça que je travaille. Un plateau nu, ça ne m’inspire pas, il faut qu’il y ait du concret. Et c’est plus intéressant de mettre un texte à un endroit auquel il n’était pas destiné.

De même, votre version ne fait preuve d’aucun misérabilisme.

Il y a une tendance à montrer les gens dépressifs ou malheureux comme forcément pauvres. J’ai voulu montrer des acteurs élégants et avec cette élégance-là, je voulais raconter la souffrance à un autre endroit. Sarah Kane est un auteur qui fait peur, or je voulais ramener de la légèreté, de la vie dans ce spectacle. Car Manque est également un texte très drôle. Souvent, les grands désespérés sont très drôles, et cet humour-là n’est pas assez mis en valeur.

La biographie de Sarah Kane est-elle dissociable de son œuvre?

Dans le cas de Manque, je pense qu’il n’est pas important de faire comprendre aux spectateurs que l’auteur s’est suicidée. Je ne veux pas basculer dans un théâtre à thèse qui va expliquer les choses, je ne veux pas faire du théâtre pour happy few, pour une poignée de gens qui ont les clés. C’est aussi pour cela que j’aime qu’un spectacle reste spectaculaire, qu’il y ait quelque chose à voir, à ressentir. Manque peut facilement virer à l’abstraction et à la poésie contemporaine caricaturale. Je voulais lutter contre ça en ramenant du vivant, des moments de tendresse, dire cette impossibilité à profiter de l’autre, à se retrouver.

Sarah Kane est-elle un auteur «à la mode» ?

Contrairement à ce que je peux entendre, Kane est très absente du théâtre subventionné. Or, je pense qu’il faut des moyens scéniques pour mettre Sarah Kane a un endroit intéressant. Attention, cela ne veut pas dire avoir de l’argent, mais au moins un cadre propice à l’œuvre artistique.

Manque

Au Théâtre Les Ateliers Jusqu’au vendredi 20 mai

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