Le charme indiscret de Marivaux

En 1732, au milieu de sa longue et prolifique carrière, Marivaux signe avec Les Serments indiscrets une pièce à contre-pied de celles qui firent ses plus belles heures. Ici, point de public omniscient, mais des jeunes gens qui ne saisissent que trop bien ce qui leur arrive et tentent de repousser par tous les moyens l’inévitable dénouement. En l'occurrence Lucile et Damis, promis l’un à l’autre par leurs pères et qui, de peur que le mariage les étouffent, tentent coûte que coûte de garder leur liberté, quitte à se jouer de la soeur de Lucile. Passé ce postulat d'une totale modernité, ils finiront toutefois par tomber amoureux, dès lors qu’ils scelleront une «procédure de ne s’appartenir jamais», une non demande en mariage. Les mots de Brassens sur le sujet résonnent d’ailleurs avec beaucoup d'à propos, à l'instar de la mélodie de Gare au gorille, qui plus tôt succède à un menuet.

Christophe Rauck, nouvellement nommé à la tête du CDN de Lille après avoir dirigé le Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis, où la pièce fut créee à l’automne 2012, fait évoluer ses comédiens sur un plateau évanescent d’où émanent ces douces notes et où traînent des fauteuils Louis XIV et des bougeoirs, tandis que des voiles assombrissent ou dégagent l’aire de jeu au gré des situations. Les costumes sont à l’avenant : travaillés juste ce qu'il faut, habillant des personnages eux-mêmes mesurément débraillés (veste déboutonnée pour monsieur et robe rapidement enfilée sur jogging ou jean pour mesdames).

Ironie

Cette apparente nonchalance convient à merveille à ces amoureux naviguant entre deux eaux - respecter leur engagement de ne pas se marier ou assouvir le désir qui les brûle - en particulier Lucile, qui ne cesse d'exprimer ses sentiment débordants avant d'aussitôt les bâillonner - impeccable Cécile Garcia Fogel (vue aux Subsistances dans le Hedda Gabler de Richard Brunel en 2007), qui se distingue d'un groupe de comédiens qui, chose rare, sont tous excellents, prolongeant parfois ses phrases d’intonations ou de gestes incontrolés, comme prise un instant de folie.

Mais si le marivaudage est poussé à son paroxysme par le couple central, il est aussi l'occasion pour l'auteur de moquer ce qui constitue son fond de commerce via Lisette, suivante de Lucile qui, bien qu'elle cherche avant tout à garder sa place de confidente et le gagne-pain correspondant, émet de percutantes diatribes contre les non-dits, simagrées et gamineries de sa maîtresse.

De tels grands écarts, le spectacle en fait plusieurs, notamment en introduisant de la vidéo au milieu de son décorum de bougies... Mais ce n’est que pour mieux plonger dans le for intérieur des êtres, avant de conclure par une superbe scène finale qui renverse les perspectives.

Les Serments indiscrets
Aux Célestins, jusqu’au samedi 26 avril