Perte de mémoire de nos pères

Variations sur le modèle de Kraepelin (ou le champ sémantique des lapins en sauce)

TNP - Théâtre National Populaire

ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement

Sur un beau texte de Davide Carnevali, Antonella Amirante signe une pièce malheureusement trop clinique pour préserver la force de son sujet : la déchéance mémorielle d'un homme atteint de la maladie d'Alzheimer. Benjamin Mialot

Ça commence par des amnésies lacunaires, qui jaillissent en des torrents de questions dont les réponses rentrent par une oreille et ressortent par l'autre. Ça se poursuit par des sautes d'humeur si insensées que l'amertume d'un café peut devenir prétexte à un saccage. Viennent ensuite la confusion temporelle et l'oubli : d'un même mouvement, un époux ressuscite et un petit fils devient un visiteur anonyme. La perte complète de l'autonomie n'est alors plus qu'une question de semaines. La mort, elle, aussi silencieuse et diffuse que celle d'une plante trop longtemps privée d'eau, pourra se faire attendre des années.

Ces symptômes, ce sont ceux de la maladie d'Alzheimer, et ils rythment Variations sur le modèle de Kraepelin. Au sens propre : la pièce de l'Italien Davide Carnevali est à l'image de la mémoire de son personnage principal, un vieillard en plein formatage de disque dur, fragmentée, parfois incomplète, souvent redondante, globalement incohérente et, en cela, d'une grande justesse, y compris dans sa manière de raconter comment cette saleté neurodégénérative déteint sur l'entourage – en l'occurrence un fils, dont l'impuissance s'exprime tour à tour par de l'inquiétude et de l'agacement. 

Laaaaapin ? Ouais ! *clic clic*

Multipliant les fondus au noir et les trouvailles vidéo (des images d'archives montées à l'envers, une scène projetée sous plusieurs angles) l’interprétation qu'en donne Antonella Amirante a le mérite d'être d'une grande fidélité à ce texte ambivalent – la frontière entre le dérèglement et le gag y est mince – et d'une certaine beauté plastique (l'écran dans le four, le final "Lewis Carrolesque"). Mais c'est aussi, paradoxalement, sa faiblesse : pêchant par excès de maniérisme et de langueur, la mise en scène vire plus souvent qu'à son tour à la performance erratique et sentencieuse, sentiment qu'incarne à lui seul le troisième personnage de la distribution, celui du thérapeute, homonyme d'Emil Kraepelin – confrère d'Alois Alzheimer – qui ici se meut et déclame comme un bureaucrate de série B. Henri-Edouard Osinski, le comédien qui prête ses traits au paternel, est en revanche remarquable, saisissant en quelques froncement de sourcils et sourires enfantins toutes les nuances de son rôle, légume en devenir incapable de reconnaître le goût de sa viande préférée, hanté par le souvenir de la Seconde Guerre mondiale et accroché à l'image de sa défunte compagne comme la vie se suspend à un fil. 

Variations sur le modèle de Kraepelin
Au TNP, jusqu'au vendredi 23 mai

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