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Thierrée, l'infiltré

La Grenouille avait raison

Célestins, théâtre de Lyon

ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement

Théâtre des Célestins / Renouant avec l'évanescence de ses premiers spectacles après le très mécanique Tabac rouge, James Thierrée arrive en préambule du festival UtoPistes avec sa nouvelle création La Grenouille avait raison dans un théâtre des Célestins plus éclectique et attractif que jamais, comme en témoigne par ailleurs la venue du prodige polonais Grzegorz Jarzyna.

À Genève, au Carouge où le mois dernier il a donné naissance à son sixième spectacle, La Grenouille avait raison, James Thierrée a retenu le souffle 1h20 durant des petits comme des grands. Personne ne caftait devant cette création qui rappelle à bien des égards, et ne serait-ce que par le titre, ses précédentes œuvres : La Symphonie du hanneton (l'harmonie est ici importante) ou La Veillée des abysses (nous sommes sous terre). Exit la démonstration de force dénuée d'émotion qu'était Tabac rouge. Retour aux fondamentaux. Et à l'animalité.

James Thierrée a un talent assez unique pour faire naître des créatures rampantes, "nageantes" ou volantes. Toutes renvoient ce sentiment aussi dérangeant qu'intimidant et fascinant d'envahir l'espace, le nôtre — quand bien même cela se déroule sur scène. Il se joue là, plus encore qu'avec les personnages humanisés, une sorte d'intrusion et de dérèglement du monde. Quelque chose qui grince. Ici, apparaît aux trois quarts de la pièce une bestiole de grande taille avançant sur le sol et dont la carapace est faite d'assiettes métalliques qui juste auparavant étaient l'objet d'une séquence foutraque et drôle de jonglerie.

Plus tôt, James Thierrée avait simplement fait courir ses doigts sur son visage comme dévoré par un mille-pattes. Et il s'était glissé sous les tapis au sol se transformant en insecte. En créant un décalage constant avec les situations modestes qu'il installe, il parvient à générer un trouble et sans doute que ce passage par la contraction de l'homme et de l'animal est le plus marquant de son travail. L'image finale — que l'on se gardera bien de vous décrire — est somptueuse et pourtant sommairement composée de quelques fils de fer et de fine bâches plastifiées.

À la verticale...

Ces éléments basiques s'opposent — ou plutôt se fondent — à un décor très chargé. Sous terre, pendent d'innombrables fils retenant des soucoupes anguleuses (une pieuvre ?) et bien peu stables. C'est le territoire d'une contorsionniste très reptilienne elle aussi. Que raconte cette Grenouille ? Rien de très linéaire si ce n'est, nous dit-on en préambule, qu'une malédiction aurait frappé une fratrie. Mais ce batracien imaginaire témoigne plutôt d'un monde enfoui, poussiéreux, endormi, abandonné à lui-même et clos.

Même les escaliers ne conduisent nulle part comme le corrobore l'une des plus belles séquences du spectacle, celle où des marches se déploient dans les airs. Aucune issue de secours n'est proposée, pas même aquatique — le bassin où se réfugie momentanément la circassienne Valérie Doucet est tout juste bon à la mener au bord de l'étouffement. La musique ? Elle n'est jouée que de manière très courte sur un piano qui semble n'avoir pas servi depuis plusieurs vies.

…de l'hiver

Pour surnager dans cet univers dévasté, reste pour James Thierrée cette part enfantine qui est l'ADN des spectacles de ses prestigieux parents, Jean-Baptiste Thierrée et Victoria Chaplin avec le Cirque bonjour (70's), le Cirque imaginaire (70's-80's) puis le Cirque invisible (90's-00's) et qu'il a toujours utilisé dans les siens : la magie, le clown et le burlesque. Il s'amuse d'un rien comme dialoguer avec ses cheveux indisciplinés, se transformer en bombe aérosol ou faire un numéro de magie avec ses bras perdus dans un immense manteau dérobé à un rôdeur égaré.

Autre ressort commun à sa sphère et à celle de ses aînés : l'attrait pour les machines, avoué sans détour par le biais d'une voix off, qu'il prouve une nouvelle fois avec l'arrivée, vers la fin du temps imparti, d'un engin à quatre roues avec un bras articulé et démoniaque. Mais comme cet univers fantasmagorique et burtonien prend place dans un théâtre, c'est à cet art même qui l'a vu naître et fait grandir que Thierrée rend une forme d'hommage en faisant du traditionnel rideau de velours rouge une matière à jouer : il enveloppe dans ce drapé la chanteuse Mariama qui, de bout en bout, donne de la voix pour guider ceux qui s'expriment par leur corps. C'est aussi par les fentes de ce symbole du divertissement que le circassien entame et termine cette création qui lui ressemble.

La Grenouille avait raison
Aux Célestins du 24 mai au 5 juin puis du 11 au 23 octobre

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