Le France est mort, vive le France !

Six lettres s’illuminent comme celle d’un night club invitant les couche-tard à pousser ses portes : FRANCE. Hissez haut les pavillons ! Embarquez mesdames et messieurs à bord du dernier transatlantique reliant Le Havre à New York en cinq jours ! C’est un fameux deux cheminées ailerons bicolores, d’un rythme de croisière de 30 nœuds ! Ici tout n’est que luxe, confort et sécurité ! Le champion né à Saint-Nazaire, baptisé au champagne en 1960 par sa marraine Yvonne, voguera vers les Amériques, messie du savoir-faire français et de son art de vivre… L’exposition stéphanoise, dernière d’un cycle commencé au Musée de la Marine à Paris, propose par sa pertinente scénographie et par le judicieux prisme de l’innovation technique, l’autopsie d’un paquebot extra-ordinaire de sa naissance au sacrifice. Paquebot France-Design embarqué redonne des lettres de noblesse à celui qu’on avait oublié. Pourtant prodige industriel. Révolutionnaire dans sa conception (à laquelle participèrent des entreprises ligériennes). Imaginez : début 60, des matériaux comme l’aluminium ou la fibre de verre jusque-là grossiers, cachés, font le luxe d’un navire de croisière en se faisant parures, rideaux, décorant les commodes (de beaux spécimens de Henri Lancel sont à admirer).

Une vitrine d'art et des régions françaises

Place à l’inventivité ! L’industrie se fait art(s) qui se niche partout. Les œuvres sont signées Picasso, Dunand, Braque, Dufy… A bord de cette ville-design-flottante-dubaïesque, tout espace est (re)pensé, franchissant la frontière du fonctionnel. Révolutionnaire le France, puisque démocratique avec ses deux classes, et non trois, au mobilier standardisé, customisé différemment selon la première ou la seconde. Révolutionnaire enfin car pluriel, fruit des artisans créateurs et innovateurs des régions françaises portant le paquebot à la pointe du progrès. En feuilletant le livre d’or, l’émotion se glisse subrepticement, totalement à la vue de ces lettres, photos ou jouets… Nous voilà tels des Jonas, expulsés des entrailles de la bête, échouant là où gisent des maillons de chaîne d’ancre, des morceaux de cheminée symbole d’un panache aujourd’hui disparu… Conçu comme le nec plus ultra des liners, vendu, relooké, renommé par deux fois, sa dernière traversée est celle qui le mène à l’abattoir, un port indien où il sera démembré, recyclé aux quatre coins du monde. 

Paquebot Le France-Design embarqué, au Musée d'Art et d'Industrie de Saint-Etienne jusqu'au 28 février 2014