Dominique A : « Un éloge du surplace »

Dominique A + Mina Tindle + Radio Elvis

Le FIL

ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement

Abordant le quart de siècle d'une carrière où le succès d'estime a fini par laisser place au succès tout court, Dominique A met à jour coup sur coup un dixième album d'un grand classicisme et un nouveau livre intime fait de petits riens. Où transpire une fois de plus le rapport très particulier à ces voyages immobiles intimes qui font avancer malgré tout et malgré soi. Rencontre avant son concert au Fil pour Paroles & Musiques. Propos recueillis par Stéphane Duchêne

Formation en trio rock, arrangements de violons, format des chansons : tous ces élements font d'Éléor un album empreint de classicisme pop. Qu'est-ce qui a présidé à cette direction et constitue-t-elle votre limite en la matière ?

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Dominique A : Jusqu'à présent, il y avait toujours de petits éléments perturbateurs qui faisaient que les disques ne rentraient pas dans un moule classique de chanson pop : un morceau plus long que les autres, ou deux-trois autres plus tordus. Là, l'idée était d'écarter toute tentation de cet ordre pour aller vers un son clair qui crée de l'espace, donne une impression panoramique. C'est quelque chose qui m'est venu naturellement dans le prolongement d'En Surface, écrite pour Étienne Daho. De la chanson elle-même mais surtout la manière dont elle a été reçue m'a aiguillé en ce sens. Mais je crois effectivement que je ne peux pas être plus évident dans l'écriture, dans le format des chansons, sans me renier.

Cela vous a-t-il permis de vous concentrer uniquement sur l'exercice de la chanson ?

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Oui, d'être dans un rapport de simplicité, au plus proche de l'écriture brute de la chanson sans la pervertir mais plutôt faire en sorte que son propos et la ligne mélodique soient appuyés et non pas contredits par les arrangements et la texture sonore. Globalement, à quelques guitares près, on reste dans quelque chose d'assez sage et feutré, étant entendu qu'il y avait chez moi cette obsession d'être dans des chansons assez douces, assez suaves même – osons le mot (rires) ! Bien sûr, tout n'était pas conceptualisé au-delà d'une idée de base. Il faut pouvoir se laisser surprendre par la tournure des événements.

Justement, souvent dans vos albums, il y a une cohérence thématique et atmosphérique forte : ici l'eau et les références géographiques semblent constituer un décor de base. Est-ce quelque chose que vous pensez en amont ou pas du tout ?

Ça s'impose au fur et à mesure. Quand les chansons déboulent, déjà je suis ravi de parvenir à en écrire encore et dans la mesure où le texte est bon, je ne réfléchis pas à une thématique globale. Je ne pars pas bille en tête. Mon délire au départ est exclusivement musical. Aucun de mes disques n'est né de l'envie de parler d'une chose en particulier. Simplement, un discours vient se greffer qui prend sa place au fur et à mesure et je sais qu'à un moment les textes vont s'accorder.

La scène a pour moi été une manière d'évacuer mon manque d'élan au quotidien

Il y a un thème qu'on retrouve sur Éléor, dans votre livre Regarder l'océan et au fond depuis toujours chez vous ; thème qui s'illustre aussi bien dans une chanson comme Au Revoir mon amour que dans la façon dont vous évoquez les lieux : c'est la prédominance presque un peu morbide du fantasme ou de la rêverie sur le passage à l'acte, qu'il soit amoureux ou de l'ordre du voyage. Une fascination pour le non-élan...

Un critique avait parlé un jour de catatonie (rires). Il y a plein de correspondances en effet entre le disque et le livre. Et c'est vrai que beaucoup de mes chansons font par exemple écho au dernier couplet d'Au revoir mon amour : « te prépares-tu chez toi à ne pas me rencontrer ». J'aime ces situations immobiles, comme des arrêts sur image où les gestes s'interrompent tandis que la pensée continue, j'aime cette tension. Sur Au revoir mon amour, on peut légitimement se poser la question de la morbidité : ce type finalement refuse obstinément que les choses arrivent et se réfugie dans sa rêverie. Ce non-élan, on le retrouve dans un texte comme Sous le hangar [dans le livre Regarder l'océan NDLR] avec cet amour d'adolescence qui ne se déclare pas et où je vais sous une grange chercher les traces de ce qui ne s'est pas passé. Il peut y avoir une forme de complaisance là-dedans, quelque chose du refus du déroulement de la vie. Mais on peut aussi voir cela comme une approche un peu zen, un éloge du surplace, une façon de ne pas se laisser envahir par des émotions trop fortes, toutes les tensions, les bouleversements de la vie.

De là, il semble qu'un paradoxe vous anime : vous évoquez dans le livre « la crainte de devoir agir et de justifier sa présence au monde » et en même temps, multipliant les supports et les collaborations, vous êtes un hyperactif...

Je ne le nie pas (rires). Dès que la moindre pause se dessine, je fais tout pour ne pas être confronté à rien. De même sur scène : je pense que la dernière chose dont on puisse me créditer, c'est d'être timoré (il éclate de rire). La scène a pour moi été une manière d'évacuer mon manque d'élan au quotidien. Et puis la vie m'a placé face à des responsabilités, j'ai dû prendre les choses à bras-le-corps mais j'ai toujours en arrière-fond cette attitude quasi adolescente d'appréhension de la vie.

Alors qu'il y a 20 ans, vous n'aviez pas du tout assumé voire saboté le succès du Twenty-Two Bar, aujourd'hui, vous écrivez pour Calogero, vous vous réjouissez et tirez des leçons d'un hit avec Daho, vous êtes primé aux Victoires de la musique... Bref, vous semblez moins ambivalent face au succès public...

Il n'y a plus d'ambivalence du tout. Maintenant, je me réjouis de tout ce qui m'arrive (rires). Jeune, j'ai eu besoin d'un sas de décompression entre la non-réception médiatique totale de mes premières tentatives en groupe et ce qui s'est passé avec mon premier disque sur un label national. Il m'a fallu m'adapter à l'idée d'une carrière qui outrepassait mes désirs les plus fous, à l'exposition médiatique mais aussi un certain mal-être corporel face à l'image notamment.

Si j'avais foncé tête baissée dans tous les plans variéteux de l'époque, au lieu de vous parler, je serais peut-être en train de faire la tournée Stars 90.

À l'époque du label Lithium qui se voulait très underground, n'y avait-il pas un refus presque politique du succès ?

Ah oui, complètement : une philosophie radicale... Le rejet que j'avais du Twenty-Two Bar était aussi dû à la force de conviction de Vincent Chauvier, le boss du label qui n'était pas là pour vendre des galettes à tout prix mais pour produire des artistes radicaux, en accord avec sa vision de la vie. Pour lui, le succès du Twenty-Two Bar était lié à un réflexe chauvin qui sentait la France à papa et les 30 glorieuses, ce qui le révulsait. Comme je souscrivais à son point de vue, on a freiné le succès de ce titre qui aurait pu être important. Puis, en sortant le single Il ne faut pas souhaiter la mort des gens qui n'avait aucun destin radiophonique possible, on s'est tiré une balle dans le pied, mais joyeusement (rires). Il y avait un esprit assez élitiste chez Lithium, c'est ce qui l'a rendu important. Mais si j'avais foncé tête baissée dans tous les plans variéteux de l'époque, au lieu de vous parler, je serais peut-être en train de faire la tournée Stars 90...

À la lecture de vos livres, et notamment Regarder l'océan, on reconnaît évidemment l'univers de Dominique A auteur de chansons, tout en ayant l'impression que sur le terrain de la littérature, vous êtes un peu sur la réserve...

Il y a une forme de retenue en effet. Un ami trouve ça compassé et dépourvu de la liberté dont je fais preuve dans mes chansons. Je marche sur des œufs, je le sais, je fais des tentatives autres qu'une écriture un peu blanche mais ça ne fonctionne pas. Je ne me prends pas pour un grand prosateur et j'essaie de rester à ma place – même si on ne demande pas à un auteur de rester à sa place mais plutôt de nous embarquer. Mais je crois que mettre en scène ma vie m'impose une certaine retenue, un recul par rapport à l'écriture, en me prémunissant du pathos, avec les armes que j'ai aujourd'hui. Je crois aussi que par rapport à ce dont je parle, je suis dans une forme de justesse et c'est ce qui m'intéresse le plus : être juste. Et que certaines phrases soient comme des aimants, que les textes fonctionnent autour de quelques phrases disséminées dans les pages. Comme dans mes chansons.

Dominique A, jeudi 24 mars à 20h30, au Majestic à Firminy

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