Mardi 23 avril 2013 Dès son troisième long-métrage, Jeff Nichols s’inscrit comme un des grands cinéastes américains actuels : à la fois film d’aventures, récit d’apprentissage et conte aux accents mythologiques, Mud enchante de sa première à sa dernière...
"Loving" : Et ils vécurent (difficilement) heureux…
Par Vincent Raymond
Publié Vendredi 10 février 2017
Photo : © Ben Rothstein : Big Beach, LLC
Loving
De Jeff Nichols (EU-Angl, 2h03) avec Joel Edgerton, Ruth Negga...
De 1958 à 1967, le parcours de la noire Mildred et du blanc Richard pour faire reconnaître la légalité de leur union à leur Virginie raciste. Histoire pure d'une jurisprudence contée avec sobriété par une voix de l'intérieur des terres, celle du prolifique Jeff Nichols.
Pour mesurer à quel point des facteurs extrinsèques peuvent influer sur la perception ou la réception d'un film, replongez-vous quelques mois en arrière ; lorsque dans la foulée des attentats de Paris et de Nice, Made in France de Nicolas Boukhrief puis Bastille Day de James Watkins eurent leur carrière en salle avortée, par crainte d'une mauvaise interprétation du public. Un contexte certes différent a présidé à la naissance de Loving. Présenté en mai dernier sur la Croisette, le nouveau Jeff Nichols a pu apparaître comme un biopic édifiant sur les tracasseries humiliantes subies par le premier couple mixte légalement marié dans la ségrégationniste Virginie. Mais s'il rappelait que les pratiques discriminatoires n'appartenaient pas forcément au passé, dans un pays marqué par des tensions violentes et répétées entre les communautés (émeutes de Ferguson en 2014, puis de Baltimore en 2015), il prend à présent un sens supplémentaire, alors que Donald Trump a accédé au pouvoir et que ses décrets intempestifs sont cassés par les instances fédérales supérieures.
Suprême d'épousailles
C'est en effet devant la Cour suprême, ultime rempart du Droit étasunien, que les Loving ont obtenu gain de cause, au terme d'une insensée bataille juridico-médiatique. Nichols montre au passage que le combat fut davantage porté par Mildred que Richard, alors vu comme “dominé” par une épouse de couleur, de surcroît — un poly-pestiféré pour la société de l'époque, en somme. Les temps ont (un peu) changé : il passe de nos jours pour un précurseur et un héros progressiste.
Comme dans Take Shelter, Mud ou plus récemment Midnight Special, Nichols épouse ici le regard de protagonistes en apparence hors-la-loi, ou décalés par rapport aux règles dominantes. Il nous conduit à partager à leurs côtés l'hostilité de la communauté dans laquelle ils vivent, et de laquelle ils sont, de fait, exclus à cause d'une différence revendiquée. Mais cette faiblesse originelle, étayée par une certitude intime et leur indéfectible solidarité, se révèle progressivement une force inaltérable. Encore faut-il l'intervention “magique” de l'instance juridique suprême (ce deus ex machina surnaturel que Nichols apprécie tant) pour que le miracle advienne.
Éclairant le présent autant qu'il raconte le passé, le cinéaste restitue une violence et des mentalités révolues sans pour autant charger la barque : son approche est dépourvu de manichéisme décoratif visant à surdramatiser une histoire dont la puissance découle de sa nue dignité.
Loving de Jeff Nichols (É.-U., 2h03) avec Joel Edgerton, Ruth Negga, Marton Csokas...
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