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"Présidents" : Vieilles choses publiques
Par Vincent Raymond
Publié Jeudi 1 juillet 2021

Photo : ©Universal Pictures France,
Enchaînant films et sujets opposés, Anne Fontaine s’attaque après Police à l’étage supérieur : le pouvoir suprême et ceux qui l’ont exercé… lorsqu’ils en sont dépossédés. Entre fable et farce, une relecture des institutions et de l’actualité politique bien plus intéressant que ce que les teasers-sketches laissaient supposer…
Reconverti en homme d’intérieur dépressif, l’ex président Nicolas S. prend pour prétexte la popularité grandissante de la candidate d’extrême-droite pour partir en Corrèze afin de convaincre son ancien adversaire et successeur François H. de monter un nouveau parti avec lui. La cohabitation sera d’autant plus rude qu’ils sont opposés en tout, et que leurs compagnes s’invitent dans la campagne…
Une évidence en préambule : sur les arcanes de la Ve République — et ses bruits de cabinet, diront les mauvaises langues — il sera difficile de parvenir un jour à se montrer plus complet que t le magistral L’Exercice de l’État de Pierre Schoeller. Rien n’empêche toutefois d’attaquer le sujet par la bande, en se focalisant sur des espèces s’ébattant dans cet écosystème. Tels les Présidents du film homonyme d’Anne Fontaine construit comme une fable dont les protagonistes ne seraient pas de grands fauves, mais deux ex éconduits par leur bien-aimée, trompant ensemble leur déni dans l’illusoire espoir d’une reconquête. Sauf que la belle, de plus en plus versatile et capricieuse, ne veut plus d’eux — d’ailleurs, comme chez Marivaux, sait-elle seulement ce qu’elle veut ?
Pseudo-fiction transparente (un roman à clef dont les portes seraient déverrouillées et grandes ouvertes) où les personnages sont des projections de figures familières, Présidents s’avère une transposition nette de ses illustres références dans un futur immédiat uchronique : l’ouverture insistant sur les différences fondamentales entre les modèles et leurs simulacres, la suite n’est que jeu de l’esprit jusqu’à la morale conclusive empruntée à Thucydide, qui rappelle fort justement le citoyen d’une démocratie à ses devoirs — terriblement d’actualité en période d’abstention massive. Entre les deux, le duel est moins une joute d’idées qu’un caviar offert aux comédiens, doubles antinomiques fonctionnant par osmose comme l’Auguste et le clown blanc. Au défi d’évoquer en se démarquant tout en incarnant, Grégory Gadebois l’emporte haut la main en Hollande caractériel quand Dujardin mimétise les tics et le phrasé sarkozyesques comme un imitateur d’imitateur — on a beau savoir que Sarkozy est à la base un épigone de Chirac, ça prend mal. Comble de la difficulté pour Dujardin, il doit de surcroît s’adresser à un “alter ego“.
Chevaux Rivaux de retour
Du propre aveu de la cinéaste, la confrontation n’était en rien volontaire. Mais à l’image de celui de l’autrice, l’inconscient des spectateurs ne peut s’empêcher de travailler pour voir dans le face à face entre Denis Podalydès en coach-gourou-psy vénal et Jean Dujardin en président dépressif la matérialisation simultanées de deux incarnations cinématographiques de Nicolas Sarkozy. Un doppelgänger saisissant entre celui qui fut le portrait du candidat en marche vers son apogée élyséenne dans le biopic La Conquête (2011) de Xavier Durringer et sa résultante déchue, ravalée au rang de fiction de comédie voire de parodie. Cette coprésence mentale d’un même personnage, vérifiant d’une singulière manière l’aphorisme marxiste selon lequel « l’Histoire ne répète pas, ou alors comme une farce » mériterait d’être considérée avec gravité par les personnalités politiques impétrantes, à la manière des vanités d’autrefois. Puisque le spectre de la prison en cas de turpitudes ne semble plus les effrayer — la distance entre la roche Tarpéienne et le Capitole aurait-elle soudainement accru par miracle ? —, gageons que la peur de finir en caricatures vides et grotesques d’elles-mêmes soit suffisamment forte pour les ramener à la dignité et à la mesure au quotidien. C’est dans l’intérêt suprême de leur ego… enfin, de la nation…
★★★☆☆ De Anne Fontaine (Fr., 1h40) avec Jean Dujardin, Grégory Gadebois, Doria Tillier, Pascale Arbillot…
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