Derrière le disque

En coulisses / Tandis qu’en 20 ans, l’univers de la musique enregistrée a évolué au rythme de la poussée du numérique et des crises successives, à Saint-Etienne, les artistes peuvent compter sur plusieurs structures indépendantes pour les accompagner dans leur parcours de création et de diffusion... Souvent jalonné de difficultés.²

« Jamais, l’auditeur n’a eu autant de choix parmi les propositions artistiques, jamais la musique n’a été aussi accessible qu’elle ne l’est maintenant, et pourtant, jamais il n’y a eu autant de monde qui écoute la même chose en même temps ». Ce constat, Cyril Balthazard du label Le Cri du Charbon le fait un brin amer, fatigué sans doute, de devoir sans cesse se battre pour attiser la curiosité des publics. Car, même si le travail de terrain opéré par les acteurs indépendants permet à certains artistes de sortir des disques, d’en vendre quelques-uns et donc de pouvoir se produire en live et gagner leur croute, se faire une petite place dans une industrie du disque dominée par les quelques gros artistes mainstream diffusés en radio relève encore du défi. « On reçoit énormément de sollicitations, et chez nous aussi, les places sont chères, poursuit Cyril. Le contexte du métier reste extrêmement difficile, on ne peut pas se permettre la moindre épine dans le pied. »

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Pas de recette miracle, en effet : la route est longue et fastidieuse, et chacun doit y être réellement préparé. Parce que lui non plus ne peut se permettre la moindre épine dans le pied, Etienne Delesse, fondateur du label Carotte production prochainement intégré à la société Deltamax passe ainsi beaucoup de temps à discuter avec les artistes qu’il serait susceptible de faire signer : « On signe ce qu’on appelle un contrat d’artiste, c’est un contrat de travail, qui stipule que l’on va payer pour l’enregistrement et le pressage du disque, et qu’on s’engage à le commercialiser. Pour ça, on va débourser 50 ou 60 000 balles. Une structure comme la nôtre ne peut pas se planter, sinon, c’est la clé sous la porte. On fait donc nos choix sur des coups de cœur musicaux, bien sûr, mais aussi en fonction d’un marché et d’une tendance, et surtout, après s’être assuré que les artistes sont prêts pour ce qui les attend ».

Les plateformes dans la danse

Et ce qui les attend, ce n’est plus seulement de la musique. Car, si le numérique a bouleversé les modes de consommation et de production de la musique enregistrée, il a également transformé le métier des musiciens, qui doivent se muer aujourd’hui en véritables chefs d’entreprise s’ils veulent espérer vivre de leur art.

Parti tout petit en proposant de la distribution de disques dans les boîtes aux lettres à des abonnés sur le système des AMAP, Inouïe Distribution est aujourd’hui l’un des plus gros distributeurs de France, notamment grâce à sa stratégie d’adaptation au marché. « Aujourd’hui, les artistes vivent essentiellement du live, mais c’est le disque, qui leur en ouvre la porte, expliquent Pierre-Alexandre Gauthier et Yoann Moulin, président et directeur général de l’entreprise. Nous, on est chargé de le vendre. En France, la répartition des ventes de la musique enregistrée, c’est 40% de disques physiques, et 60% de disques numériques, donc on travaille beaucoup les deux supports. Ça veut dire, parvenir à placer des disques dans les bons points de vente, mais aussi, réussir à placer des titres et des albums sur les playlists des plateformes digitales telles que Spotify ou Deezer. Par ailleurs, on propose tout un hub de services aux artistes, pour les aider à se rendre visibles, et donc audibles. Création de site internet, aide la stratégie sur les réseaux sociaux… Sans cela, aujourd’hui, l’artiste ne peut pas exister. »

Moins de musique, plus de communication pour parvenir à vendre son produit, y compris pour les artistes peu ou pas diffusés en radio ? Derrière cette demie-vérité loin de l’image idyllique de l’art, se cachent en fait d’autres réalités. Si le stream rapporte aujourd’hui très peu à l’artiste et aux structures indépendantes qui l’accompagnent (1/3 de centime d’euros sur Spotify, 1/10 de centime d’euros sur YouTube, soit 1500 fois moins qu’une vente physique), les plateformes ont pourtant sauvé l’économie de la musique enregistrée, en détournant les auditeurs du téléchargement illégal. Dès lors, elles sont devenues pour eux un moyen supplémentaire d’exister, à condition de travailler dur pour y être bien référencé, en atterrissant sur les fameuses playlists suggérées à l’auditeur.

La com', partie du geste artistique

D’abord manager d’artistes, David Rivaton a également monté le label Pont Futur il y a de cela 2 ans, pour accompagner des artistes en début de développement et les aider à grandir. Avec eux, il signe des contrats pour seulement un single, qu’il va ensuite promouvoir uniquement sur les plateformes : « Oui, aujourd’hui, la communication est aussi importante que la musique. Mais je crois beaucoup que ce qu’on appelle ‘’communication’’ est en fait une partie intégrante du geste artistique. C’est une prolongation de la musique que créé l’artiste, et ces deux choses ensemble doivent répondre à la question : ‘’qu’est-ce que l’artiste a à raconter ?’’ Ce n’est pas forcément simple pour tout le monde, et nous, on est là pour les aider à trouver la bonne manière de faire, pour que ce qu’ils partagent sur les réseaux soit complètement naturel, et que ce soit efficace ».

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