Paroles et Musiques 2023 : le bilan

Retrouver l’ADN, mêler découvertes, révélations, et têtes d’affiche bien implantées dans le paysage musical français : la promesse était belle. A-t-elle été tenue ? Après une semaine d’écoute et d’observation assidument passée au cœur du festival Paroles et Musiques, Le Petit Bulletin fait le point. Spoiler : l’artistique, quand il procure de fortes émotions, fait un bien fou à nos p’tits cœurs.

Texte et photos : Cerise Rochet

Tout commence le lundi 22 mai, aux alentours de 19h30. Dehors, les pavés sont trempés, le ciel est gris, et le vent agite les feuilles des arbres. Quelques minutes auparavant, une radée fraîche est venue nous rappeler qu’il faudrait encore patienter quelques semaines pour un changement de saison. Dans la rue de la Ville, pourtant, on se sent participer à un rituel d’ordinaire réservé à la période ensoleillée. D’un pas tranquille, des dizaines de personnes remontent en effet la voie piétonne, dans une sorte de longue procession. Direction La Comète, pour le premier soir du festival stéphanois Paroles et Musiques, version 2023.

Une édition qu’organisateurs et programmateurs présentent depuis quelques mois comme celle qui renouera avec les ambitions portées par l’événement à ses débuts : permettre à la scène musicale française de capter l’attention du public, en suscitant joie, réconfort, enthousiasme et surprise. Ici, durant une semaine complète, artistes plus que confirmés côtoieront de jeunes pépites actuellement en plein coups de projecteurs ou, pour certains, s’affairant encore dans une relative obscurité. Mais pour l’heure, la salle de La Comète se remplit peu à peu, jusqu’à ce que tous ses moelleux fauteuils soient occupés. Un cérémonial qui se répétera chaque jour durant 7 jours, redonnant du même coup confiance quant à la capacité de la musique live à fédérer autour d’elle des spectateurs heureux de se déplacer pour un concert (ou plusieurs).

Les têtes d’affiche confirment

Le contexte étant posé, venons-en à présent au contenu. Sur l’affiche, donc, l’on avait forcément repéré les quelques artistes d’ores et déjà adoubés du public pour leur singularité, leur générosité, leur poésie, leur sens de la musicalité, ou tout ça à la fois. Le premier soir, Bertrand Belin se voyait ainsi flanqué de l’ouverture du bal, devant un parterre mêlant fans de la première heure et plus récents admirateurs, voire, profanes curieux d’une telle renommée.  Costard fluide, mèche de cheveux indisciplinée se rebellant au gré des pas chaloupés, Belin ne fera, ce soir-là, qu’une bouchée de l’assistance. La faute à son timbre grave, à ses mots justes, à son élégance un brin dézinguée et à ses rythmiques léchées, qu’elles surgissent des cordes ou des synthés. La faute à ses cinq musiciens, aussi, de ceux qui ne sont pas là pour accompagner un chanteur mais pour donner vie, corps, âme et profondeur aux mélodies. Par excès de politesse, sans doute, les spectateurs mettront une bonne heure à se lever et à oser se trémousser. Mais ici comme ailleurs, les dodelinements de tête ne trompent pas. Les salves d’applaudissements et les cris venus de la salle entre deux chansons non plus. À l’heure de quitter la scène, comme un remerciement venu du plus profond du cœur, Belin enverra d’ailleurs de la main plusieurs floppées de baisers à ceux qui, désormais debout, l’ovationneront durant de longues minutes.

Le lendemain, un petit goût de rebelotte nous fera dire que la semaine serait très certainement aussi chargée que riche en émotions. Même salle, même taux de remplissage [100%], même effervescence. Une petite différence, cependant, puisque l’affiche du soir s’ouvre à un artiste Sénégalais ayant conquis la France il y a une dizaine d’années, grâce à un album en langue anglaise… Judicieuse manière de mettre en lumière la richesse et la diversité de la scène musicale française dans toutes ses composantes, y compris de niche. Car, parmi les artistes confirmés, Faada Freddy fait un peu figure d’ovni. Inclassable, tour à tour maître pop, rock, gospel, funk et même électro, son identité artistique s’exprime non par une esthétique, mais à travers sa joie, son sourire et son groove, explosivement communicatifs. Autre singularité et pas des moindres, la musique de Faada et de son crew ne sort ni d’une harmonie d’instruments, ni de boites à rythmes ou autres machines… mais de leurs seules voix chantées ou beatboxées, mêlées de percussions corporelles. Une performance que le public de Paroles et Musiques sur-valide ce mardi soir, heureux de répondre à l’appel de l’artiste à se lever de son fauteuil, lâchant ainsi prise uniformément, dans une grande vague d’euphorie et de sueur.

Ainsi lancé, le festival paraissait déjà, après seulement deux soirs, tenir une partie de sa promesse : les artistes les plus expérimentés semblaient réussir à réunir les gens autour de leurs titres et de leur énergie, dessinant des sourires sur les visages et des cœurs avec les mains. Plus tard, Charlie Winston, Dominique A et -M- allaient à leur tour susciter l’engouement du public. De notre côté, on allait plutôt choisir de tendre une oreille aux étoiles montantes ou peut-être prochainement montantes, histoire de mettre à jour notre discographie.

Les belles surprises

À l’ère du stream de masse, disons-le, se faire un avis à propos d’un artiste promu au rang de « révélation » à grands coups de passages radio ou télé, peut parfois s’avérer… Assez compliqué. Dans les pratiques des jeunes musiciens en effet, les machines ont bien souvent remplacé les instruments, troublant ainsi nos références et habitus de quarantenaire, en même temps que nos oreilles non éduquées à ces sonorités. De temps en temps, sans doute avons-nous d’ailleurs songé en silence : « tout se ressemble un peu », face à des rythmiques synthétiques et lancinantes crachées par les écouteurs de nos smartphones. Et puis, un jour, vient la possibilité de découvrir les fameuses révélations sur scène. L’heure de prendre une petite tarte sur le nez, et de nous convaincre de ne jamais se laisser aller à un avis trop hâtif.  

Quelques minutes avant d’entrer dans la salle, mercredi, une inquiétude nous traversait donc. Était-ce bien le soir, fatigue aidant, à opter pour un concert de la douce November Ultra, dont la chouette personnalité ne saurait sans doute suffire à compenser le tempo très lent des mélodies, et ce, pendant près d’une heure et demie ? Un tracas évacué en moins de 10 minutes, alors que la jeune artiste, après être arrivée sur scène dans un éclat de rire, lâchait la preuve d’un sens croustillant de l’auto-dérision : « Je vous demanderais juste de ne pas ronfler trop fort, s’il vous plait. Je chante des berceuses, donc je sais que les gens s’endorment pendant mes concerts, c’est normal ; par contre, comme j’ai pas de batterie, il ne faut pas ronfler sinon, ça va s’entendre ». Dans un décor vintage fait de petits guéridons en bois et d’abat-jours en panne de velours, miss November se montre drôle et classieuse, pipelette et joyeuse, mais aussi… Extrêmement talentueuse.

« Je vous demanderais juste de ne pas ronfler trop fort, s’il vous plait »

L’on craignait l’ennui, étant plutôt du genre à aimer ce qui pulse, à taper du pied, à traîner de concert en concert pourvu que ça groove. On ne pouvait pas se douter que ce live, transcendé par sa voix tantôt fragile, tantôt puissante, par ses mots susurrés, par ses textes enchanteurs, mettrait la flèche en plein dans le mile. À la première larme, on regrettera de ne pas avoir de mouchoir, mais on se félicitera d’être restée debout dans le fond de la salle, et de ne gêner personne en reniflant.

À ce stade, tout devenait donc possible, et le passage scénique de Zaho de Sagazan allait sceller le dossier. Face à un Fil plein comme un œuf, la jeune artiste, que l’on présente désormais comme le « coup de cœur », le « nouvel espoir », « la sensation », a dévoilé à ceux qui la connaissaient à peine la partie la plus intéressante de sa démarche. Sur scène, Zaho de Sagazan percute sa pop electro ultra mélancolique de fortes influences de l’Est, façon club berlinois. Lights en laser, rythmiques binaires et syncopées, timbre venu des profondeurs… et le Fil se mit à remuer d’un seul mouvement de tête, alors même que beaucoup n’étaient très certainement pas venus pour elle, mais pour le deuxième artiste de ce plateau partagé.

De lasers, d’électro et de têtes qui bougent, il a aussi été question à l’Usine, pour quelque 50 infatigables privilégiés qui ont pu découvrir Claude, un soir à 23 heures. Seul avec ses machines, son micro et son style un brin cold wave mais pas que, le jeune homme envisage lui-aussi la scène comme l’architecture en 3 dimensions de ses chansons. Comme l’endroit de l’amplification des mots et des tempos. Comme le lieu où tout prend forme, où tout prend vie, où tout prend sens. Et où nous, face à lui, on en prend un peu plein la gueule. Un set de 40 minutes millimétré – au laser – durant lequel on regrettera de nouveau que notre politesse ou la gaucherie de nos corps nous commandent de rester assis.

Dans ce tourbillon de révélations, on a également assisté au concert de Suzane en entrée de week-end. Et, même si de notre côté, nous la découvrions en live pour la première fois, on n’est finalement pas très sûrs, de devoir la classer ici parmi les « révélations ». Des centaines de scènes, deux albums, deux tournées, une Victoire de la Musique… Pas vraiment ce qu’on peut appeler « jeune talent ». Le set, en outre, transpire l’expérience. Seule sur scène, Suzane est une combattante. Alternant sourcils froncés et sourires dépliés, mouvements tout en sensualité et démarche de guerrière tête baissée, voix chantée, voix parlée et textes rappés, la sudiste exilée à Paris est une putain de pro… Et, si la prouesse technique est bluffante - textes articulés, danse et chant mêlés – l’identité artistique affirmée l’est tout autant. De l’engagement, de la conviction, des influences piochées dans la pop, dans l’electro ou même la dance, dans le rap, dans la trap version latine… Un combo parfait pour une machine à tubes, repris en chœur par les quelque 900 spectateurs. Ça va aller, ça va aller.

Les enfants du pays

La ligne artistique du festival, enfin, n’aurait pu être tout à fait aboutie cette année si elle n’avait fait la place aux jeunes artistes de chez nous. Bonneville, tout d’abord, enflammant l’Usine flanqué d’un gorille guitariste, d’une plume léchée et d’un bon gros grain de folie dans le ciboulot. Le personnage, un brin suranné et très crooneur dans notre playlist Spotify, se révèle sur scène bien plus survolté, occasionnant des cris de groupies et des pas de danse irrépressibles chez bon nombre de spectateurs.

Un peu plus tard dans la semaine, au cours de la même soirée, on découvrait tout d’abord la Stéphanoise Lou Muguet, un EP et seulement quelques dates dans les pattes. Un potentiel énorme, des rythmiques calibrées, des textes bien posés… On a déjà hâte de la voir éclore pour de bon, et prendre la scène entièrement pour nous dire droit dans les yeux ce qu’elle a à nous dire.

Après elle, Brique Argent, pépite de cette année 2023, gagnant du tremplin du Printemps de Bourges et accompagné par le FAIR, était attendu de pied ferme. On avait entendu dire, que le jeune artiste faisait de ses passages scéniques des performances. On était loin du compte. Lui dit aimer souffler le chaud et le froid, mais il s’agit de bien plus que ça. Rarement, on avait eu l’occasion de voir un tel sentiment cathartique se dégager d’une scène. Passant des mots qu’il susurre à des hurlements venus des entrailles en un petit éclat de seconde, Brique cueille son auditoire, et affirme une identité très singulière à laquelle on peut éventuellement ne pas adhérer… Mais qui, à n’en pas douter, ne laissera jamais personne de marbre.

On aurait pu en écrire davantage… Et parler aussi de l’ultra-sensibilité poignante de Thx4Crying, ou du flow de ouf de B.B Jacques. Mais nous savons bien, que cet article est déjà beaucoup trop long. On se contentera donc de rappeler que la scène musicale française actuelle ne saurait se résumer aux quelques artistes que nous avons évoqués ici, et aux quelques autres qui enchainent récompenses, promos médiatiques et ribambelle de streams. Non, la scène musicale française est bien plus vaste que ça, englobant également des artistes plus confidentiels, parcourant des chemins inscrits hors des radars, mais occasionnant au moins autant d’émotions chez ceux qui les écoutent. Beaucoup, ont un point commun néanmoins, et notre semaine embarquée sur le festival Paroles et Musiques le démontre : en racontant notre siècle, en livrant leurs états d’âme, en se délivrant sur scène, tous ces artistes endossent, volontairement ou non, la chemise dont visiblement nos représentants politiques ne veulent plus. Dire les maux, dire les joies, dire les peines de notre société et ainsi nous ancrer dans notre réalité pour, ensemble, la faire évoluer vers un mieux. Balancer des rythmiques qui appellent, non pas simplement à la danse, mais au défoulement, au lâcher-prise et à l’affranchissement de ce qui quotidiennement nous fait mal au bide. Une bien belle édition, reflet d’une ère à laquelle le foisonnement créatif et artistique révèle simplement que nous avons besoin de respirer, et aussi d’être ensemble.