Killer Joe

À 77 ans, William Friedkin prouve qu’il n’a rien perdu de sa rage corrosive avec cette comédie très noire autour d’une famille de Texans dévorés par une même cupidité. Cru et violent, génialement écrit et servi par un casting parfait. Christophe Chabert

Il y a deux types de cinéastes vieillissants : ceux qui adoptent une forme de sagesse et affinent film après film leur point de vue — l’école Eastwood; et ceux qui s’autorisent un surcroît de fantaisie — l’école Resnais. En fait, il faut en ajouter un troisième, minoritaire : les metteurs en scène qui retrouvent dans cette dernière ligne droite une rage juvénile qu’on ne leur soupçonnait plus. Cela donne Battle royale de Fukasaku et aujourd’hui cet incroyable Killer Joe d’un William Friedkin de retour au sommet. Bug, son film précédent, montrait déjà une hargne retrouvée, mais aussi des limites par rapport au matériau théâtral qu’il se contentait de transposer sagement à l’écran. L’auteur, Tracy Letts, est aussi celui de la pièce qui a inspiré Killer Joe ; cette fois, il a pris le temps de bosser avec Friedkin une vraie adaptation cinématographique, aérée et fluide, du texte original. Un choix plus que payant : le dialogue brillant de Letts trouve dans la mise en scène de Friedkin un allié de poids, le cinéaste étant trop content d’aller en découdre avec son thème de prédilection : l’omniprésence du mal.

Affreux, sales et méchants

Killer Joe montre une famille de Texans dégénérés vivant dans un mobile home insalubre : le père apathique, la belle-mère nympho, le fils magouilleur et la fille candide, Dottie. Complètement fauchés, ils décident de mettre à mort la mère pour toucher son assurance-vie. Comme ils sont aussi lâches que méchants, ils font appel à un flic pourri pour commettre l’irréparable. Joe pose une condition : la virginité de Dottie en guise de caution. Friedkin pose le ton d’entrée de jeu, en cadrant en gros plan la toison d’une Gina Gershon à l’image du reste de la famille : pas classe du tout. Seule Juno Temple (Dottie) échappe au jeu de massacre et devient donc la victime de la cupidité générale. Mais les choses se corsent puisque Joe n’est pas, en apparence, le salaud indiqué. Séduisant, élégant, presque dandy (McConaughey joue à la perfection cette ambivalence), il ne se contente pas de déflorer Dottie, mais va aussi la séduire. La scène, vraiment provocante, de leur accouplement, trouvera son revers bestial dans un final renversant de crudité, repoussant les limites de la représentation sexuelle dans un film «tout public». Tout cela n’est jamais vain : en mettant des coups de boule à toutes les valeurs sacralisées de l’Amérique (famille, mariage, argent), Friedkin montre que Dieu ne bénit plus le pays depuis longtemps : le rêve est bien devenu un cauchemar.

Killer Joe
De William Friedkin (ÉU, 1h42) avec Matthew McConaughey, Emile Hirsch, Juno Temple…

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