Looper

Conçu comme un casse-tête spatio-temporel mais aussi comme une série B mélangeant science-fiction et action, le film de Rian Johnson est la bonne surprise américaine de l’automne, à la fois cérébral, charnel, trépidant et poétique. Christophe Chabert

Boucler la boucle. C’est en substance l’enjeu de Looper, jusque dans son titre, qui désigne les tueurs du film, chargés de supprimer les témoins gênants d’exactions commises 30 ans plus tard et envoyés dans le passé grâce à une machine à remonter le temps. Loopers, car vient fatalement le moment où ce sont eux, ou plutôt leur double de trente ans plus âgé, qu’ils doivent supprimer, contre quelques lingots d’or qui leur assureront une "retraite" méritée ; la boucle est donc bouclée. Quand arrive le tour du héros, Joe, le protocole est rompu : son autre lui débarque tête nue, se débat et réussit à s’échapper. Pas le choix : il faut le retrouver au plus vite, car sinon c’est lui qui sera exécuté, mettant fin de facto à l’existence de son alter ego.

Compliqué ? Ce n’est pourtant que la trame de base d’un film dont le scénario se montre particulièrement généreux avec le spectateur. Rian Johnson fait partie de ces cinéastes matheux (proche cousin par exemple d’un Christopher Nolan) pour qui une œuvre est avant tout une suite d’équations entremêlées dont la logique, une fois comprise, s’avère imparable. Là où le garçon a vraiment du talent, c’est qu’il ne se contente pas de dresser avec habileté les fils de son intrigue et de ses nombreux paradoxes ; il sait aussi leur donner de la consistance en soignant chaque détail de sa mise en scène.

Dédoublements sexuels

Le premier d’entre eux, c’est ce futur (l’action au "présent" se déroule en 2044) qu’il dépeint comme une exagération de notre époque : la technologie a encore progressé, mais elle n’est plus l’apanage que d’une poignée d’individus, généralement mafieux. Le reste de la population s’enfonce dans la misère crasse, et l’idée même d’État semble un lointain souvenir (un bus scolaire est ainsi transformé en ruine sur roue accueillant des marchandises visiblement volées ; tout est dit). Cela se traduit aussi par un grand écart entre les villes, agglomérats de buildings de plus en plus hauts, de plus en plus froids, et une Amérique des champs de maïs qui, elle, semble ne pas avoir bougé depuis un siècle. C’est bien sûr de la pure production value dans une série B qui compense son manque de budget par des décisions simples et intelligentes ; mais c’est aussi une manière d’inscrire le film dans un espace aussi bizarre que sa temporalité, familier et pourtant inquiétant.

L’autre grande idée de Johnson, c’est d’avoir fait incarner Joe dans ses deux "âges" par des acteurs qui, a priori, n’avaient rien de commun : le charme et l’élégance féminines de Joseph Gordon-Levitt d’un côté, la virilité bourrue de Bruce Willis de l’autre. À l’écran, la parenté est pourtant crédible d’un bout à l’autre, à moins que Johnson, en plus des qualités déjà citées, n’ait aussi celle de déclencher à volonté la suspension d’incrédulité du spectateur. Surtout, Gordon-Levitt et Willis apportent ce qui aurait pu faire défaut à un projet pareil : de la chair. Le film ne se prive pas d’ailleurs pour insister sur leur dimension sexuelle : une liaison purement physique entre Joe jeune et une strip-teaseuse décomplexée, avant que celui-ci n’excite la libido d’une mère-célibataire — il est rare que le cinéma américain filme à ce point le désir, sans s’encombrer de sentimentalisme. Quant à Willis, c’est dans les bras d’une belle Chinoise qu’il coule ses vieux jours, avant que celle-ci ne soit sauvagement assassinée.

Synthèse délirante

Looper ouvre alors la porte à une de ses influences majeures : La Jetée de Chris Marker, dont il figure cinquante ans après une sorte de variation geek effrénée, plus encore que celle, officielle, signée Terry Gilliam (L’Armée des 12 singes, déjà avec Willis !). Car ce n’est pas une mais deux images traumatiques qui entraînent les allers simples spatio-temporels des personnages, Johnson greffant dans son labyrinthe déjà complexe une sous-intrigue hallucinante à base de télékinésie vengeresse qui doit autant à Akira qu’au Furie de De Palma. Au lieu de former un puzzle de traviole, cette synthèse délirante finit par s’avérer assez poétique, l’amour (conjugal ou filial) venant dévaster sur son passage toutes les règles établies, jusqu’à produire un gigantesque foutoir dont la seule issue reste le néant. Finalement, l’important n’était pas de boucler la boucle, mais de la laisser ouverte. Rian Johnson a décidément tout compris au cinéma !

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