Gatsby le magnifique

Gatsby le Magnifique
De Baz Luhrmann (ÉU, 2h22) avec Leonardo DiCaprio, Tobey Maguire...

Cinéaste de l’imagerie pop, Baz Luhrmann surprend agréablement en trouvant la puissance romanesque nécessaire pour transposer le Gatsby de Fitzgerald. Et trouve en Di Caprio un acteur à la hauteur du personnage. Christophe Chabert

Gatsby le magnifique version Baz Luhrmann ressemble, dans sa première heure, à ce que l’on pouvait en attendre. Ou presque. Le réalisateur de Moulin Rouge retrouve ce qui a fait sa marque – c’est loin d’être un défaut en période de standardisation : promenade pop à l’intérieur d’une époque à coups de grands mouvements de caméra impossibles, anachronismes musicaux, jeu sur les surfaces et sur la profondeur faisant ressembler sa mise en scène à un livre pop up, et le film dans son entier à un carnaval pop.

L’ajout de la 3D intensifie tous ses partis pris – comme si le cinéma de Luhrmann avait toujours désiré cet artifice, mais pouvait enfin en avoir la jouissance – et il serait facile de ne voir là qu’épate visuelle et pyrotechnie gratuite. Mais que raconte Gatsby le magnifique sinon l’histoire d’un homme qui use et abuse de cette pyrotechnie pour attirer l’attention d’une seule personne, et qui déploie un faste sans égal pour mieux disparaître, se fondre dans la masse et faire oublier qui il est vraiment. En cela, Luhrmann a sans doute trouvé un sujet idéal, et ce n’est pas un hasard s’il aborde Gatsby avec beaucoup plus de sincérité et de premier degré que dans ses œuvres précédentes.

Gatsby or not Gatsby

Il faut malgré tout souligner le point faible de son adaptation : le choix de Tobey Maguire dans le rôle de Nick  Carraway, à la fois narrateur et spectateur du drame qui s’est joué dans ce New York idyllique au début des années 20. Courtier en bourse profitant de l’argent qui coule à flot à Wall Street, écrivain frustré plus que raté, Carraway se retrouve, par un lointain lien de parenté, au centre du mélodrame impliquant sa cousine Daisy, l’époux de celle-ci, Tom, et le mystérieux Gatsby, qui donne des fêtes orgiaques dans son immense propriété en bord de lac.

Si Luhrmann a la bonne idée de lui faire raconter toute l’histoire dans un souvenir qui est à la fois thérapeutique et littéraire, il se heurte au manque de charisme de son interprète, qui ère hébété au milieu d’un monde décadent dont il ne sait s’il doit s’y abandonner ou le laisser à distance.

C’est une idée défendable durant la première moitié de Gatsby, beaucoup moins lorsque monte en puissance le personnage de Gatsby lui-même et son interprète, un très impressionnant Leonardo Di Caprio qui confirme qu’il est l’acteur le plus doué de sa génération. Luhrmann ne l’aide pas forcément en choisissant d’abord un montage particulièrement haché, où Maguire ne semble être qu’une figure de cire au milieu des décors somptueux. Ce protagoniste évanescent laisse du coup toute la place à de vrais morceaux de bravoure filmiques : la scène de beuverie dans l’appartement new-yorkais, où Luhrmann déploie une mise en scène à son tour grisante, où la séquence où Carraway pénètre dans la propriété des Buchanan, avec ses rideaux qui volent comme une danse des mille voiles, moment troublant renforcé par l’apparition érotique de Carey Mulligan dans le rôle de Daisy.

Les cendres du temps

Alors que les enjeux dramatiques de son récit se dessinent, Luhrmann choisit de tempérer son imagerie débridée et de se recentrer sur la puissance romanesque à l’œuvre dans le roman de Fitzgerald. Livrant assez tôt dans un flashback une première version du passé de Gatsby, il n’a plus qu’à dérouler l’histoire d’amour entre lui et Daisy, qui reprend comme si rien, ni mariage, ni guerre, ne l’avait laissée cinq années en suspens. À l’ivresse de l’époque répond la griserie de l’amour, et le style du film se teinte peu à peu d’une surprenante gravité.

La virtuosité de Luhrmann ne consiste plus à multiplier les plans ou à raffiner jusqu’au moindre accessoire sa direction artistique ; elle tient avant tout à l’espace et à la durée des séquences, jusqu’à ce climax dramatique où tous les personnages, enfin réunis dans une minable chambre d’hôtel étouffée de chaleur, vont pouvoir déballer leurs rancœurs et révéler leur véritable visage. Moment éblouissant et inattendu de la part du cinéaste, qui laisse lentement monter l’émotion, retrouvant le meilleur du cinéma classique hollywoodien en s’interdisant d’un coup toute affèterie ou tout effet de manche, focalisé sur les sentiments des personnages et la manière dont les acteurs les subliment. Gatsby le magnifique se dénude ainsi en cours de route, va chercher l’essence noire et amère du roman, afin d’en faire la matière visuelle d’un final assez bouleversant, où des années 20 et de leur insouciance ne restent plus que les mots de Fitzgerald / Carraway qui se dissolvent dans un océan de regrets.

Retrouvez cet article dans notre dossier : Cannes 2013

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