Inglourious basterds

Fidèle à lui-même et pas à la caricature qu’on veut donner de son cinéma, Quentin Tarantino enthousiasme avec cette comédie de guerre dont l’enjeu souterrain est de repenser l’Histoire récente à partir de ses représentations cinématographiques. Christophe Chabert

«Il était une fois dans la France occupée…» C’est le titre du premier chapitre d’Inglourious basterds. Comme le reste du film, ce chapitre est une séquence entière, ce qui représente en cinéma d’avant une «bobine» ; comme si Tarantino prenait comme rythme celui d’un projectionniste pour qui chaque passage d’une bobine à l’autre ouvrait sur un nouveau modèle de cinéma. Dans une ferme française, un nazi polyglotte (Christoph Waltz, immense révélation d’un casting fourni en talents) interroge un paysan pour obtenir des informations sur une famille juive. L’échange commence en Français, puis se poursuit en Anglais au prix d’un subtil dialogue qui renvoie avec malice aux conventions du «cinéma hollywoodien à l’étranger». Dans cette introduction brillante, Tarantino joue donc sur les codes du cinéma classique et sur leur relecture ironique par Sergio Leone, le tout appliqué à un sujet sérieux.

Le triomphe du cinéma

Dans le chapitre suivant, où l’on fait connaissance avec les «basterds» du sergent Raine (Brad Pitt), des juifs scalpeurs de nazis, Tarantino retrouve un territoire plus familier : un cinéma bavard mais badass. Va-t-il suivre cette piste ? Non ! Les «basterds» disparaissent, et c’est une jeune femme juive (Mélanie Laurent) qui devient l’héroïne. Elle tient un cinéma à Paris où un acteur allemand entreprenant veut organiser la première du film de propagande dans lequel il vient de tourner. L’opération kino peut commencer… Quelque part entre Opération jupons et un To be or not to be qui remplacerait les planches par une salle obscure, l’«opération kino» est aussi la mission de Tarantino dans cette comédie follement théorique : sauter sur le cinéma et y rétablir un ordre aussi subjectif que pertinent. Il y a les images d’Épinal, celle du cinéma des studios des années 50, qu’il se plait à pasticher ; il y a celles du film de propagande, version Babelsberg et anachronique d’un blockbuster guerrier — le film que ses fans attendaient et qui se retrouve, ce n’est pas un hasard, du côté du mal ; et il y a les siennes : un Hitler éructant, une blanche qui aime un noir… Des images qui vont bouleverser le cours de l’Histoire, la vraie. Car pour Tarantino, relire l’histoire du cinéma, c’est bien repenser l’Histoire tout court. Le souci, depuis Boulevard de la mort, de dépasser les références pour réfléchir à la manière dont le cinéma a pu contribuer à l’éveil des consciences, prend ici une ampleur stupéfiante. Inglourious basterds, avec ses digressions démentes et ses personnages farfelus, est au cinéma ce que L’Arc-en-ciel de la gravité de Thomas Pynchon fut à la littérature : une œuvre monstre, foisonnante, inépuisable.

Inglourious basterds
De Quentin Tarantino (ÉU, 2h28) avec Brad Pitt, Mélanie Laurent, Christoph Waltz…

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