Stephen Sayadian : porno, morale et mise en scène

Événement au festival Only porn du Lavoir public : une soirée en hommage à Stephen Sayadian, un des rares auteurs du cinéma pornographique, dont les films ont tous cherché à mettre le porno en abyme dans une démarche pop et subversive. Christophe Chabert

Quelle place pour le cinéma porno dans l’histoire du cinéma ? Du point de vue de la qualité, mineure, mais pas inexistante. Les cinéastes X dignes de son nom ne sont pas nombreux, et peu peuvent s’enorgueillir d’avoir construit une "œuvre". Stephen Sayadian fait donc figure d’exception, et les trois films qui ont assuré sa gloire culte — Night Dreams, Café Flesh et Dr Caligari — démontrent une approche du genre résolument personnelle.

Sayadian, qui officiait sous le pseudonyme de F. X. Pope, ne se cache pas derrière son petit doigt : dans ses films, les actes sexuels ne sont pas simulés — mais, trente-cinq ans plus tard, les canons du hard ont bien évolué, et les toisons pubiennes très drues sont clairement moins à la mode. En revanche, ils sont toujours mis en abyme par la mise en scène : dans Night Dreams, une jeune femme est soumise à une expérience médicale novatrice : elle est droguée pour pouvoir enregistrer ses rêves érotiques ; le film avance donc par une suite de scènes qui tiennent autant de l’hallucination psychédélique que de la représentation fantasmatique.

Dans le café du sexe perdu

Chez Sayadian, le spectateur de porno est aussi sur l’écran : il regarde mais ne touche pas, et le porno devient un peepshow arty, un rituel où tout est faux sauf le sexe. Dans son chef-d’œuvre, Café Flesh, il pousse cette logique — qu’on peut appeler une morale — un cran plus loin : dans un monde post-atomique, l’humanité est divisée entre sexe-positifs — toujours actifs — et sexe-négatifs — impuissants. Les seconds viennent donc au Café Flesh voir les premiers se livrer à des numéros sexuels sur scène. Mais une légende circule dans le café : un nommé Johnny Rico, doté d’un appendice monstrueux et d’un mojo surnaturel, pourrait rendre leur libido aux sexe-négatifs.

Le film entrecroise ainsi un dispositif limpide qui recrée l’idée même d’une salle de cinéma porno et des séquences aux accents politiques évidents. Le va-et-vient sexuel est ainsi synchronisé avec les allers-retours des foreuses dans les puits de pétrole à l’arrière-plan ; des bébés barbus réclament du sexe comme ils réclameraient leur biberon. Visions de cauchemars qui mettent à mal les valeurs américaines — famille, industrie, commerce — dans un acte subversif et provocateur. Ce n’est pas un hasard si des années plus tard, ce grand iconoclaste de Paul Verhoeven nommera un des personnages de Starship Troopers… Johnny Rico ! Comme on dit, les vrais savent se reconnaître — et Sayadian est un vrai cinéaste.

Hommage à Stephen Sayadian
Au Lavoir Public, dans le cadre d’Only porn, dimanche 15 décembre

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