Sarah Chiche, au nom du père

Roman / Avec "Saturne", Sarah Chiche reconstitue l'irrésolvable puzzle d'une enfance marquée par l'absence envahissante de son père décédé quand elle n'avait que 15 mois. Une magnifique étude des dysfonctions familiales et de la manière dont elles dévorent les enfants même devenus adultes.

La narratrice de Saturne n'a pas deux ans lorsque son père Harry, héritier d'une dynastie de médecins ayant fait sa fortune en Algérie avant de la poursuivre en France, meurt d'une leucémie. Il a 34 ans. C'est la scène, terrible, de son agonie, en présence de ses parents et de la mère de sa toute jeune fille, Eve, son grand amour, qui ouvre ce roman qui n'en est pas tout à fait un. Car la narratrice de Saturne est en réalité Sarah Chiche elle-même, autrice du livre.

En 2019, elle se rend à Genève pour donner une conférence sur son travail (elle est écrivaine et psychanalyste, écrit des essais sur le sujet et des romans). Là-bas, elle croise une femme lui assurant avoir bien connu Harry et ses parents. Une simple confession, troublante, qui fait replonger la jeune femme dans une histoire familiale et paternelle complexe où l'amour et la haine se regardent dans les yeux : de la relation changeante d'Harry avec son frère aîné, à la passion dévorante entretenue avec Eve, la mère de Sarah, bombe incendiaire que sa famille finit par rejeter violemment. De là, naît la nécessité de ce roman.

Ce père à l'absence trop présente

Dans ce maelström de passions, tantôt digne d'un soap-opera, tantôt jailli d'une tragédie grecque, traversés par des fantômes, des non-dits et des manques que les excès du matérialisme ont bien du mal à compenser, la petite fille, gâtée à tous les sens du terme, a bien du mal à exister : « je vivais dans un monde où les objets apparaissaient tout aussi brusquement que les gens y disparaissent, et où, du reste, comme les autres, on l'aura compris, je ne vivais pas vraiment ».

Car il y a ce trou noir, cette ombre portée par le souvenir aveugle du père, qui longtemps conduit la fillette puis la jeune femme à s'y laisser couler, littéralement, à ne plus vouloir vivre ou se respecter. À répéter aussi les phases d'abandon aiguës où le corps et l'âme se délitent, où ce père à l'absence trop présente dévore une enfant comme le Saturne du tableau de Goya. Jusqu'à l'instant, aussi bref que tardif, du surgissement de l'image manquante — on n'en dira pas plus — qui d'un coup, vient tout réparer.

Ce roman, quelques années plus tard, vient compléter cette réparation, boucler la boucle. Sarah Chiche on l'a dit est psychanalyste, Saturne en atteste. Mais c'est aussi et surtout le livre d'une écrivaine.

Sarah Chiche, Saturne (Seuil)

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