Festival du film court de Villeurbanne : Compétition, partie 2

Au terme de sa compétition, le festival du film court de Villeurbanne semble dessiner un boulevard pour le génial The Mass of men, qui a survolé la journée d’hier, malgré quelques belles révélations. Christophe Chabert

Il y a des films qui, dans une compétition festivalière, ne font pas de prisonniers et écrasent tout sur leur passage. The Mass of men, chef-d’œuvre de Gabriel Gauchet dont on parlait ici, a déjà raflé des grands prix à tire-larigot, à Locarno, Grenoble, Grenade, etc. Le film n’a pourtant rien d’une bête à concours ; il représente juste ce que tout court-métrage devrait être : un regard sur le monde qui tient autant à la qualité d’une écriture, à la maîtrise de la direction d’acteurs et à des choix de mise en scène qui permettent au spectateur de vivre l’action mais aussi de la décoder et de la mettre en perspective. À l’aune de The Mass of men, les faiblesses de ses concurrents apparaissent criantes : tel cinéaste se regarde filmer, tel autre a un sujet, mais le décline scolairement à l’écran ; et celui-ci, qui n’a pas écrit des dialogues suffisamment pensés pour ses acteurs, et qui se retrouve à galérer pour les rendre cinématographiques…

Qu’on soit clair, dans la compétition de Villeurbanne, si aucun film n’arrive vraiment à la hauteur de The Mass of men, c’est que des œuvres d’exception comme celle-là, il n’y en a pas tous les ans dans le court-métrage. Et que le genre est définitivement atomisé sur de multiples formes, comme on le disait hier. Mais, là encore, The Mass of men semble les synthétiser toutes : à la fois nouvelle cinématographique, film à chute, film dispositif, film à sujet… Tout y est, accompli à la perfection, et au-delà, puisque le film n’est fait que de séismes et de ratés, d’abîmes et de désolation.

Amour(s), colère et coléra

Donc, puisque les autres œuvres sont si diverses, autant les prendre pour ce qu’elles sont et les juger selon ce prisme : ainsi, une des jolies surprises de la compétition est venu d’un film modeste, Géraldine je t’aime d’Emmanuel Courcol, très bien écrit et servi par deux comédiens exceptionnels — Julie-Marie Parmentier et Grégory Gadebois. C’est une comédie douce-amère où, à la faveur d’une panne de voiture, un père divorcé, infirmier pédiatre dans un hôpital, croise le chemin d’une jeune banquière, jamais vraiment remise d’une très ancienne rupture sentimentale. Le programme est d’abord celui du non-dit, puis de l’écart qui se rétrécit au fil des trajets en commun, des qualités qui se dévoilent, des fêlures qui apparaissent et enfin du moment où les blessures cicatrisent par la bienveillance de celui qui les a rouvertes sans le vouloir. Si la mise en scène répond à quelques scories télévisuelles — malgré la photo de Lubomir Bakchev, ex-chef op’ de Kechiche, qui fait des merveilles pour filmer en numérique la nuit, sa grande spécialité, travaillant une profondeur de champ quasi-infinie — le film séduit malgré tout par sa petite musique joliment tenue jusqu’au «merci» final.

Rien, mais alors rien à voir du tout avec Cólera, une nouvelle petite bombe espagnole mêlant virtuosité et concision. En un seul plan séquence de 6 minutes complètement dingue — il y a du monde pour prendre la relève d’Alfonso Cuarón, visiblement — Aritz Moreno montre des villageois emmenés par l’ultra charismatique Luis Tosar, venus faire la peau à un monstre atteint du choléra et enfermé dans une cabane de fortune. La cruauté de cette réaction grégaire visant à «assainir» le village va de pair avec la bêtise profonde d’une horde qui, voulant régler un problème, le généralise. C’est donc très bref, mais visuellement stupéfiant, la caméra semblant faire absolument ce qu’elle veut, y compris passer sans coupe du point de vue de la foule à celui du monstre, puis y revenir…

Plan-séquence encore, mais d’un tout autre genre, avec Je sens plus la vitesse, premier film de Joanne Delachair, venu de la Fémis (département image, ce qui transpire un peu dans les limites de l’exercice). Lui aussi s’offre lui aussi un incroyable plan unique en noir et blanc, de 15 minutes celui-là, qui démarre dans ce qu’on prend pour une sorte d’auberge avec des poivrots déjà bien éméchés, parmi lesquels émerge un homme qui se met à soliloquer sur des dates ayant toutes quelque chose à voir avec sa femme, sa fille et surtout ses différentes voitures. C’est Denis Lavant qui condense ici ses rôles de Monsieur Oscar dans Holy Motors et du légionnaire danseur dans Beau travail de Claire Denis. Il finit par sortir du gourbi qui, miracle du cinéma et d’un montage invisible, débouche sur un vaste champ vide d’habitations mais peuplé d’une foule de gens et d’un musicien. Le lien entre les deux parties apparaîtra dans le dernier «acte» du film qui, à défaut d’être bouleversant, a au moins le mérite d’être inattendu. Delachair a visiblement vu les films de Bela Tarr, et Je sens plus la vitesse pourra être regardé, selon son humeur, comme un bel hommage ou comme une pâle imitation — nous, on trouve ça plutôt réussi.

Shavi Tuta, film géorgien de Gabriel Razmadze, est une chouette nouvelle d’apprentissage filmée dans un coin perdu du pays — un village et un téléphérique qui conduit à une mine en surplomb — et pas sans rapport dans son scénario — pas très original, il est vrai — avec 37°4 S vu la veille. Un garçon taciturne, qui rêve de construire des avions et se contente pour l’instant de maquettes dans sa chambre, rencontre une très jolie fille de son âge mais pas vraiment de sa classe sociale. Ils vont passer une journée ensemble qui pourrait promettre une histoire d’amour, si l’avenir de l’un n’était à la mine, et celui de l’autre à la ville. C’est très juste, très bien filmé, avec de jeunes acteurs excellents, rien n’est appuyé, la poésie s’immisce là où il faut… Mais c’est peut-être ce côté très formaté qui empêche de souscrire totalement à la proposition, qui aurait mérité d’être un peu plus risquée.

Déceptions

Enfin, dans la longue et souvent pénible litanie des films animés de cette compétition, on a vu le meilleur — Encore des changements de Barbara Maleville et Benoît Guillaume, tentative audacieuse quoiqu’un peu systématique de transcrire le moins figuratif des poètes français, Henri Michaux, par des images et y parvenir — et le pire — Méandres d’Élodie Bouedec, Florence Miailhe et Mathilde Philippon, interminable adaptation graphique des Métamorphoses d’Ovide, qui surcharge absolument tout, des images au texte et même à la musique du pourtant aimé Olivier Mellano rendant l’ensemble impossible à suivre, ce qui plonge le spectateur dans un état d’ennui incommensurable.

Pour le reste, on dira un mot du film de la Lyonnaise Géraldine Boudot, Faims. Le parcours de cet ado qui sort de son mal-être au contact d’une communauté de vendangeurs saisonniers est extrêmement appliqué à tous les niveaux : écriture, mise en scène, jeu, tout est très bien réglé, mais il n’y a ici aucune surprise, aucun accident, aucune rupture. Si bien que même si le film se regarde sans ennui ni déplaisir, son déroulé très programmatique empêche d’éprouver face à lui une véritable émotion.

Un mot aussi du seul documentaire de la compétition, Minerita, sur des femmes qui vivent autour et travaillent dans des mines dangereuses, que ce soit à l’intérieur à cause du gaz et de l’insalubrité, ou à l’extérieur, puisque les mineurs, généralement alcooliques, ne pensent qu’à les agresser. Leur moyen de défense est radical : la dynamite, qu’elles balancent à tour de bras. Le réalisateur, Raúl de la Fuente, observe ses femmes — une en particulier, la plus brave mais aussi la plus éprouvée — mais peine à donner un centre à son film, qui s’éparpille entre son sujet, un esthétisme façon Danny Boyle dernière période et un désir manifeste de fictionner au maximum son matériau.

Bilan

On ne parle pas de tout ce qu’on a vu — le reste, disons-le, est anecdotique ou franchement calamiteux — mais cela suffit pour tirer un bilan avant le palmarès de la compétition. Notre quatuor fétiche n’a pas vraiment été bouleversé par les autres films — dans l’ordre : The Mass of men, Avant que de tout perdre, Solitudes et L’Amour bègue — même si on a envie de rajouter à la liste des films authentiquement accomplis le puissant 45 degrés, le joli Buenos Aires, l’OVNI Petit Matin, et donc nos découvertes du jour, Cólera, Géraldine je t’aime et Je sens plus la vitesse. Soit 10 très bons films sur 41, ce qui n’est pas mal du tout ; c’est en tout cas un chiffre supérieur à la plupart des éditions précédentes, même si les gens qui aiment voir le verre à moitié vide diront qu’il y en a quand même 31 qui, à plus ou moins grande échelle, nous ont déçu. Certes.

Mais le court-métrage ne donne pas que des merveilles, malgré une production intense — à Villeurbanne, le comité de sélection dit avoir vu cette année plus de 1300 films. En revanche, d’un festival de courts à l’autre, le ratio reste le même : un quart de films vraiment marquants, trois autres plus dispensables. On verra donc ce soir comment le jury, qui ne remet que trois prix cette année — plus celui du public et des jurys parallèles — va trier dans tout cela. Mais bon, si The Mass of men repart bredouille, on sera aussi surpris que les supporters français le soir de France-Ukraine !

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