Gentleman baroudeur

Rip Hopkins photographie l'Ouzbékistan et ses "déplacés" avec tact et exigence. Une approche du réel singulière qui se décline en un livre et une exposition au Réverbère, tous deux très réussis. Jean-Emmanuel Denave

Il y a quelque chose de doux, de blanc, d'étale dans les photographies de Rip Hopkins. Une pudeur, une retenue du regard, des cadrages délicats. À la manière d'un gentleman, le photographe anglais parvient peu à peu à fendiller notre belle indifférence vis-à-vis des "déplacés" d'Ouzbékistan. Parce qu'entre nous, l'Ouzbékistan, qui en a cure ? Cette invention soviétique en Asie Centrale où Staline déporta ennemis politiques et "populations dangereuses" : Allemands, Turcs, Coréens, Tatars, Ingouches... Rip Hokins nous invite à les rencontrer dans leur intimité, leur quotidien privé ou professionnel, leurs petites joies et grandes monotonies. Ancien reporter de guerre, Rip Hopkins a rejoint l'Agence Vu en 1996 et réalise depuis des projets de longue haleine, hors des feux de l'actualité, dans des contrées méconnues. Ses images sont les fruits patiemment mûris de rencontres, de longues périodes vécues sur place, et d'errances aléatoires propices à la réceptivité de "l'autre". Elles sont aussi pensées en fonction d'un projet éditorial et d'expositions, et non plus de publications dans la presse.

Sur le point de...

Rip Hopkins s'impose toujours un grand nombre de règles formelles. L'ouvrage publié est, par exemple, composé de 99 images légendées chacune par une petite notule de 99 caractères. De plus, les prises de vue sont autant de mises en scène rigoureusement réfléchies et créées avec la complicité des sujets photographiés. Pourquoi tant de règles ? Pour se protéger sans doute d'une réalité trop éruptive et insaisissable, et surtout afin d'engendrer cette alliance de formes esthétiques et de sens, sur le modèle des grands peintres portraitistes. Les portraits d'Hopkins parviennent à capter une suspension, un entre-deux du temps, une fêlure au cœur même de l'image fixe. Voyez comme ils sont déjà absents, partis, loin, ces "déplacés", jeunes ou vieux. Voyez en même temps cette sorte de résignation à l'idée qu'ils resteront peut-être définitivement là. Comme ce bateau de pêche s'inscrivant si bien dans un paysage désertique, et qui semble espérer néanmoins retrouver les flots d'une mer d'Aral asséchée. L'entre-deux, c'est la grande force des images de Rip Hopkins. Entre deux pays, entre le photographe et son sujet, entre le présent et l'avenir, entre la présence et l'absence. D'où un rythme alternatif inhérent à ses images, bien rendu dans le livre et l'exposition. Pour ce qui concerne l'accrochage, les photos sont présentées de manière linéaire avec des espaces irréguliers entre elles, ou bien sous forme de mosaïques incomplètes laissant part au vide. L'absence, les accrocs du temps, les hiatus résonnent aux murs. Beau travail photographique, bel ouvrage, bel accrochage.

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