La friendzone, j'y suis, j'y reste
Ado / L'autrice et journaliste Alice Raybaud et l'illustratrice lyonnaise Diglee, se sont associées pour célébrer les amitiés, déconstruisant au passage l'injonction au couple à tout prix.

Photo : Les ami.es c'est la vie (aux éditions La ville brûle), texte d'Alice Raybaud, illustration de Diglee
Il y a un âge où les amitiés prennent une place toute particulière dans la construction de chacune et chacun : l'adolescence. Une période charnière où l'on commence à exister en dehors de la famille, on établit des relations choisies, plus ou moins fusionnelles, stimulantes, parfois même un peu douloureuses. Le concept d'amitié est expérimenté, et donc, plus ou moins consciemment, formalisé dans la tête des adultes en devenir. Une élaboration un peu solitaire, un peu à tâtons, car elle n'est pas particulièrement valorisée, théorisée ou cadrée par la plupart des médiums qui gravitent autour des ados. Qu'il s'agisse de culture légitime ou de culture dite "populaire", rares sont les films, les livres, les séries, les jeux vidéo... qui ont pour sujet principal ou fin en soi l'amitié. Il s'agit, le plus souvent, de relations "fonction", permettant de poser un contexte, de développer un ou plusieurs des personnages principaux qui, in fine, se réaliseront ailleurs : en accomplissant un rêve, une mission, ou en concrétisant une relation amoureuse.
De même, les modèles donnés par les adultes gravitent presque uniquement autour du couple, d'une cellule familiale formée autour d'une dualité amoureuse, la plupart du temps hétérosexuelle. On en retient que les amitiés sont accessoires, le couple quant à lui, presque vital.
Ma vie, mes copaines
En voilà un modèle pesant pour celles et ceux qui basculent de l'enfance à l'âge adulte et qui naviguent dans un univers constitué de théories fumeuses et sexistes. L'amitié garçon-fille n'existerait pas, deux personnes du sexe opposé ne se côtoieraient que pour se séduire. Entre filles, il y aurait toujours des disputes, car elles seraient en concurrence pour attirer les garçons. Les personnes qui n'ont que quelques amis seraient moins "bien" que celles qui en ont beaucoup. L'amitié virtuelle n'existerait pas, elle ne serait pas "réelle". Une rupture amicale ne pourrait pas être aussi douloureuse qu'une rupture amoureuse... La liste est longue et les clichés s'empilent.
La journaliste au Monde Alice Raybaud, spécialisée dans l'intime et les jeunesses, ainsi que l'illustratrice lyonnaise et militante Diglee se sont attelées à les déconstruire sans forcément produire de parole incitative, d'injonction. Chapitré très simplement, rédigé sans fioritures au cœur d'une mise en page aérée, l'ensemble de l'ouvrage est très compréhensible, sans pour autant baigner dans une simplicité infantilisante. Même en tant qu'adulte, certaines réflexions interrogent, amènent à repenser la place qu'on donne aux amitiés dans notre vie, et à requestionner certaines orientations, peut-être moins choisies en âme et conscience qu'il n'y paraît. Le tout, régulièrement agrémenté de définitions, d'anecdotes joliment introduites et de suggestions pour prolonger la réflexion (des livres mais aussi des podcasts). On aurait aimé avoir ce genre de littérature entre les mains à l'adolescence.
Les ami.es c'est la vie (aux éditions La ville brûle) ; 12 €
Rencontre avec Alice Raybaud et Diglee le 5 septembre 2025 à 19h à la Librairie à soi.e (Lyon 1er) ; gratuit sur réservation