Bienvenue au Klub

Automne 2004 : parution de "Vive la vie", premier album du Klub des Loosers. La critique est unanime et fait de ce duo versaillais l'un des chefs de file du rap game alternatif ; problème : le Klub refuse d'en apprendre les règles. Printemps 2012 : parution de "La Fin de l'espèce", deuxième album du Klub des Loosers. La critique est unanime est fait de nouveau du groupe l'un des chefs de file d'une espèce de contre-courant hip hop ; problème : le Klub a encore moins envie de jouer qu'avant. Benjamin Mialot

Le succès phénoménal de Bref, la consécration de Zach Galifianakis ou le regain d'engouement dont bénéficie l'esthétique grunge ne trompent pas : depuis que la culture geek a quitté la marge pour devenir la norme, il n'a jamais été aussi bien vu et rentable d'être un pauvre type. Et ça, le Klub des Loosers, ça le débecte : «Ça n'a jamais été cool d'être un loser. Il ne faut pas confondre le fait de se complaire dans sa médiocrité et le fait d'essayer d'en sortir et de ne pas réussir. On a senti à l'époque de Vive la vie qu'on pouvait capitaliser sur cette méprise. On s'y est refusé, on n'a pas voulu se salir».

D'un V qui veut dire...

À la place, Fuzati, le MC à visage couvert qui préside cette association à but abrasif mais non lucratif qu'est le Klub, a préféré prendre le temps. Le temps de digérer le succès du premier album sus-mentionné sur lequel, non content de remettre en cause quelques clichés socio-géographiques (non, Versailles n'est pas peuplé que de poppeux emperlousés), il inventait un rap plus désenchanté que hâbleur et plus littéraire que littéral : «Avec le recul, on a le sentiment avec DJ Detect [le technicien du binôme, NdlR] d'avoir ouvert une porte, en traitant des thèmes inédits pour le rap français et en assumant le fait d'être issus de la classe moyenne sans jouer les cailleras. En faisant preuve, finalement, d'honnêteté vis-à-vis de cette musique. Le rap, c'est une musique de ghetto noir américain, pas un truc de petit blanc. D'une certaine façon, on a été les premiers rappeurs à ne pas rapper pour les rappeurs, à se battre contre leurs codes. Alors qu'on pourrait les adopter. On me parle toujours de mon flow, mais je peux en avoir d'autres ! Je n'ai juste pas envie de rentrer dans le délire qu'ont les trois-quarts des rappeurs français, les assonances, les allitérations... ». Le temps de vieillir aussi, histoire que son alter ego paroxystique (sous le masque, un anonyme un rien misanthrope comme il en existe des millions) développe un nouveau point de vue. Le temps, enfin, de se radicaliser : là où Vive la vie décortiquait les tracas de l'adolescence par l'auto-dérision, son successeur, La Fin de l'espèce, dissèque les affres de la trentaine avec un terrifiant cynisme.

...violent et venimeux

Entre les deux enregistrements, huit années durant lesquelles Fuzati n'a pas chômé, et pas seulement parce qu'il se refuse à vivre de sa musique par crainte des mauvais choix de carrière. Il a notamment produit l'intégralité des morceaux du Klub des 7 (collectif rapologique incluant entre autres James Delleck et Gérard Baste des Svinkels), gagnant au passage la ferme conviction que l'avenir de l'autre Klub ne pouvait passer que par l'indépendance : «Avec le Klub des 7, on a fait en sorte de tout maîtriser de A à Z. Ça m'a beaucoup appris sur l'industrie, au point de m'amener à sortir La Fin de l'espèce sur Les Disques du Manoir, un label que j'ai créé quand je me suis rendu compte que les indé me tenaient le même discours que les majors. Chaque discussion démarrait de la même façon : «Fuzati, t'as une belle plume mais...». À partir de là, je savais qu'ils voulaient me tirer vers un truc à la Oxmo Puccino, un peu chanson française. Sauf que moi, je ne fais pas de compromis». Il n'en fait pas non plus sur la méthode : ourdi au fil de longues sessions de fouilles dans les bacs à vinyles (ou crate digging), La Fin de l'espèce a été enregistré en trois jours, dans l'idée de recapturer la spontanéité et le grain des classiques du jazz, pour un résultat incomparable bien qu'à équidistance de l'implacabilité du Wu-Tang Clan originel et de la nonchalance du Gainsbourg de Melody Nelson.

Quant à la fameuse plume, célinienne pour les uns, houellebecquienne pour les autres, elle est tout simplement la plus inventive et incisive du milieu, fusse-t-elle encrée à l'insatisfaction professionnelle («Le vendredi c'est décontract' ils portent des mocassins en daim / Avec leurs têtes de types qui prennent leur pied à la fête des voisins / Je les écoute déblatérer dans cette réunion sans fin / On fait le point pour le débrief' du point que l'on fera demain») ou à la pression procréative («Je n'ai rien de désaxé c'est vous qui ne marchez plus droit / Chérie ne t'inquiète pas non je ne m'tromperai pas d'endroit / Je sais parfaitement où la mettre pour que le futur soit plus beau / Parfois ta merde salit les draps mais tout le monde pourra boire de l'eau»).

À ce propos, à quand un roman ou un recueil de nouvelles ? La réponse est à la hauteur des précédentes, intransigeante, définitive : «J'ai trop de respect pour la littérature pour me lancer là-dedans. Si je devais publier, il faudrait que je sois certain de ne pas être dans la redite. Mais il y a tellement de putains d'auteurs : Bukowski, Fante, Buzzati bien sûr... En tout cas, je me sens plus écrivain que rappeur, mais le terme est trop pompeux. Je lui préfère celui de writer. Souvent les rappeurs partent du flow puis remplissent avec des mots. Moi j'ai la démarche inverse. Je pars toujours du sens. Je ne me laisse jamais guider par une rime. L'idée doit dominer la punchline». Amen. 

Klub des Loosers + Liqid & Tcheep
Au Transbordeur, samedi 6 octobre

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