Le Survivant

Immortel et grand malade «bigger than life», Jason Pierce, 46 ans, a consommé plus de drogues et de médicaments qu'un humain ne peut en supporter, traversé trois décennies de rock psychédélique et repoussé deux fois – et demi – les avances de la grande faucheuse. Portrait d'un «sur-vivant» en perpétuel sursis. Stéphane Duchêne.

Il y a le «Club des 27», Rotary Club des fantômes rock (Morrison, Jones, Joplin, Hendrix, Cobain, Johnson...). Ce Walk(ing dead) of Fame du culte pop, certains (se) tueraient pour y appartenir, quitte à s'étouffer dans leur vomi – ce qui devrait être éliminatoire. D'autres ont heureusement eu, dans l'histoire musicale, le bon goût d'entamer leur carrière après l'âge fatidique (Leonard Cohen), d'attendre 40 ans pour se faire dessouder (John Lennon), de mourir de «vieillesse» (Johnny Cash) ou même à 26 ans (Nick Drake).

Et puis il y a Jason Pierce, leader de Spiritualized et anciennement de Spacemen 3. Lequel a cette particularité dont peu peuvent se vanter : celle d'avoir été déclaré mort deux fois. En 2005, une pneumonie mal embouchée lui provoque deux arrêts cardiaques et autant de prononciations de décès. Les deux fois, celui qui chantait Walking with Jesus, ressuscite, littéralement.

Car visiblement Pierce n'était pas vraiment intéressé par le pied à terre qu'on lui proposait ad patres. Peut-être parce que "J. Spaceman", du temps de son affolante jeunesse, avait déjà suffisamment flotté dans l'espace pour espérer autre chose d'une expérience psychédélique qu'une lumière blanche au bout du tunnel.

Et puis il avait une œuvre à finir, lui qui conçoit la musique comme une maladie qui le ronge à ce point qu'il faille se demander si ce n'est pas elle qui le laisse si souvent sur le carreau  : lors de l'enregistrement de Sweet heart, sweat light, son dernier disque, où on l'a pourtant rarement senti si vivant, il se met à saigner du nez pendant plusieurs jours et refait un séjour à l'hôpital. Il confie plus tard au cours d'une interview avoir subi, dans le plus grand secret, une chimiothérapie qu'il alternait avec les séances en studio. Sa pire expérience de la drogue, plaisante-t-il.

La maladie, la musique, les psychotropes, les médicaments : quatre piliers enchevêtrés de la vie de ce mystique, toujours sur la ligne blanche.

Héroïne

Tout commence donc en1982 avec Peter Kember et Spacemen 3, l'un des totems du psychédélisme anglais des années 80. Il s'agissait alors selon leur propre aveu de «prendre des drogues pour faire de la musique pour prendre des drogues...» Playing with fire (1989) est alors considéré par le magazine Q comme l'un des cinq plus grands albums écrits et composés sous héroïne. Un médecin écrira même, quasi prophétique, à propos du morceau Revolution que «sa basse pulsative est le fruit de la sensibilité accrue à ses propres battements cardiaques d'un usager de drogues intraveineuses». 

Spaceman 3 splittera parce que trop de drogues tuent, à défaut de ses membres, un groupe. Et pour une vague histoire de reprise des Troggs, dont chacun revendique avoir eu l'idée le premier – bagarre molle de junkies.

Thomas de Quincey de la pop anglaise, Pierce poursuivra dès 1991 avec Spiritualized sa quête de l'excès. De la même manière que l'on disait de l'auteur de Confessions d'un mangeur d'opium anglais et de De l'Assassinat considéré comme un des Beaux-Arts, qu'il était excessif en tout : sa vie, son œuvre, sur le fond comme sur la forme – sujette à la digression – on pourrait qualifier l'œuvre de Spiritualized : gospel cosmique et emphatique, cocktail musical létal et lacrymal au bord de l'OD médicamenteuse (la pochette de Ladies & Gentlemen we are floating in space figurant même une boîte de médocs). Au fond, Pierce n'a qu'une règle : il n'y a pas de règle.

À la vie, à la mort

Sauf que cette quête apparente du chaos n'est en réalité que volonté de maîtrise si on la met en perspective avec ce que De Quincey écrivait, en substance, c'est le cas de le dire, des opiacés : «qu'ils attribuent aux facultés mentales un exquis mélange d'ordre et d'harmonie». Mouais.

Et s'il ne tourne aujourd'hui plus qu'au thé, Pierce n'en a pas moins conservé une approche musicale obsessionnelle – ce qui le rapproche d'autres monomaniaques polytoxicomanes : Lou Reed et Brian Wilson. On le sait, les personnalités "addicts" le sont sur tous les plans, qu'il s'agisse de sucre, d'amour ou de tuning.

Quand Pierce écrit une chanson d'amour, il pourrait tout aussi bien parler de dope ou prier Dieu; quand il compose un tube pop comme Do it all over again (Let it come down, 1999), il en fait une symphonie wilsonienne ; quand il écrit sur son expérience aux portes de l'au-delà (sur Songs in A&E, 2008), on sent la mort qui rôde et l'on suffoque avec lui au son du respirateur artificiel (Death take the Fiddle, sublime appel à la délivrance) avant que Pierce ne se laisse repousser des ailes sur le rédempteur Soul on Fire où il aspire à vivre pour toujours.

«S'il y a un paradis rock, ils doivent avoir un groupe d'enfer» écrivait Lester Bangs. Reste que tant que Pierce sera capable, depuis la terre ferme, de composer ses gospels ascensionnels d'éternel sursitaire, le Ciel peut attendre. Et lui s’agripper fiévreusement – comme sur le splendide dernier morceau de Sweet heart, sweet light : So long you pretty thing, où il convoque le rire de sa fille de 9 ans et implore Jésus aux deux dernières choses auxquelles il soit encore accro, malgré les épreuves et une lassitude évidente : la musique et la vie. Et quand il chante sur Little girl «Sometimes I wish that I was dead, cause only the living can feel the pain» ("Parfois, j'aimerais être mort, car seul les vivants peuvent sentir la douleur") on n'en croit pas un mot.


Spiritualized

+ The Maccabees + Citizens ! + Team Me (Festival des Inrocks)
Au Transbordeur, vendredi 9 novembre

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