Ganafoul retrouvé et sidér...ant

En septembre, les Givordins de Ganafoul, tête du pont de la faste période Lyon Capitale du rock, ont réédité Sider Rock un album jusque-là inédit témoignant de leurs débuts, en quintet et en Français. Un petit morceau d'Histoire pour les amateurs de rock en acier trempé.

Par Stéphane Duchêne

Comme des fous

Sur la photo de famille princière de la fameuse Lyon capitale du rock de la fin des années 70, gravitant de plus ou moins loin autour du punk et dont on aime par chez nous agiter le souvenir fiérot, Ganafoul avait pris soin, par goût (quoi d'autre ?), de s'assoir quelque peu à l'égard. Sur le trône notoirement vacant d'un genre encore peu exploré dans l'hexagone : le hard rock. Ce truc-là, ce drôle de machin à guitares ramenardes, poitrails saillants et cheveux en cascades, n'appartient alors quasi exclusivement qu'aux anglo-saxons, Led Zeppelin et AC/DC en tête.

Rien que cela fait déjà de Ganafoul, qui doit son nom signifiant "comme un fou" en patois givordin, une originalité. Au départ un quintet, francophone — c'est important pour la suite — formé par le trio instrumental Édouard "DooDoo" Gonzales (guitare), Philippe "Fourmi" Veau (basse) et Yves Rothacher (batterie) vite complété par le guitariste Jack Bon et le chanteur Jean-Yves Astier. Quintet qui redevient vite un trio formé des deux précités et explosant peu après, ne laissant que les deux derniers finalement re-rejoint par Rothach' qui reprend aussi la basse (vous suivez ?).

Sur la route

C'est dans cette configuration que le groupe va tutoyer les étoiles et trimballer son rock sidérurgique pour une part atavique (Givors étant une place forte d'un acier déjà bien déclinant) et pour une autre sans doute plus large inspiré par les saillies d'idoles telles qu'AC/DC. Et par dessus tout ça un coulis de blues bien trempé et des éclats boogie pour les hanches frémissantes. En la Sainte année 77, le groupe managé par le totémique Robert Lapassade (avec lequel le rock lyonnais a vécu bien davantage qu'une passade) ouvre pour Status Quo puis à de nombreuses reprises pour Little Bob Story (notamment à l'Olympia) et se voit même offrir un contrat discographique. Cette même année sort donc le remuant Saturday Night chez Crypto.

L'année suivante, c'est en vedette que Ganafoul fait l'Olympia dans le cadre du festival Le Rock d'ici. Dans l'été, alors que Bernard Antoine remplace Rothacher parti chez Factory, vient bien entendu le fameux concert New Wave French Connection de Fourvière puis deux dates au Théâtre lui aussi antique d'Orange devant 6000 spectateurs (la première en ouverture de Téléphone, la seconde en vedette). Les festivals s'enchaînent : Lesdins, l'Huma, Carquefou et une première partie des Boomtown Rats de Bob Geldof.

Au Château

1978 se termine en apothéose pour le plus échevelé des groupes lyonnais avec un deuxième album, le très bien nommé Full Speed Ahead. S'ensuivent pour le troisème groupe français du référendum Best, quatrième de la catégorie espoir derrière Van Halen, Dire Straits et Devo (!), des pelletées de concert de Bourges à Pantin, de Miramas à l'Allemagne, de Marseille au Cap d'Agde en passant par la Belgique, mettant à profit des aptitudes pour la scène et un sens du show supérieur à la moyenne, immortalisées sur un court album live Route 77.

Tout cela, et les 25000 exemplaires vendus de Full Speed Ahead, conduit Ganafoul au mythique Château d'Hérouville où enregistrèrent les Stones, Elton John, Pink Floyd, Rod Stewart, Cat Stevens, les Bee Gees et Bowie. Side 3 sort fin 79 et le groupe semble y élargir sa palette Statusquo-stonienne en s'essayant même au reggae sur Sometimes. Après quoi le trio s'en va figurer à l'affiche du Festival Europe Rock 80 aux côtés d'un échantillon représentatif de l'avant-garde (Marquis de Sade, Joe Jackson, Simple Minds, The Cure, The Ruts, The Specials, Squeeze, Starshooter...) et même ce bon vieux Lavilliers — et du film Saloperie de rock'n'roll, docu culte signé Jean-Noël Delamarre.

Qui sera le maître ?

L'année 80, marque un tournant pour le groupe toujours aussi affamé de concerts : son cinquième album, de nouveau mis en boîte à Hérouville, est en français (une stratégie marketing qui a fait ses preuves du côté de Téléphone et consorts) et le trio devient quatuor avec l'arrivée d'un second guitariste,  Jean-Michel Bachtarzi. Lequel quitte le groupe aussi vite qu'il est venu, tout comme Astier. C'est dans ce contexte de délitement que Bon et Antoine enregistrent avec Hervé Corcos à la basse, ce T'as bien failli crever, disque plein de ressentiment et de désillusions, comme un dernier sursaut.

Et si le classement annuel de Best doit être un baromètre, alors il montre bien le déclin de Ganafoul qui y dégringole. « Qui sera le maître ? qui baissera la tête ? » s'époumonent-ils. Plus Ganafoul qui décide d'arrêter les frais après plus de cinq ans de folie furieuse. La suite se noue entre tentatives solo (Jack Bon, surtout), formations alternatives, reformation olbligée (à toute fin des années 80) et rééditions (en 1998, l'occasion de quelques nouveaux concerts nostalgiques).

French reconnexion

Si l'on peut penser, à tort ou à raison, que c'est la francisation de Ganafoul qui a éteint l'étincelle et épuisé le carburant du groupe (la faute, peut-être, à des textes en demie teinte), c'est ironiquement à travers cet idiome que Ganafoul est réapparu au mois de septembre avec un album inédit. C'est que la chose date de 1975, quand les givordins n'étaient justement pas encore passés à cette langue de Robert Plant qui assaisonnait leurs premières saillies.

Le groupe était d'ailleurs encore le quintet séminal décrit plus haut quand Gilles Desportes enregistra dans un studio de Vaugneray ces morceaux jamais sortis, repimpés et remasterisés en 2020 pour cette publication par le sorcier sonore d'Honey Pie Records, Xavier Desprat. Le tout est sorti chez Simplex Records en vinyle parsemé de photos inédites et déjà sold-out — un repressage de 200 exemplaires en vinyle couleur vient d'être réalisé. Preuve que s'il y avait une pièce manquante à la carrière de Ganafoul, en mesure de boucler la boucle mais par le début, c'est sans doute dans ce disque, qui plus est baptisé, comme une adresse aux origines, Sider-Rock, qu'il faut le trouver. Si la sidérurgie est depuis longtemps passée, le rock est resté.

Ganafoul, Sider-Rock (Simplex Records)

Repressage couleur disponible par correspondance — puis chez Dangerhouse, Sofa Records, Tiki Vinyl Store (Lyon) et Méli Mélodie (Saint-Étienne)

Crédits photos : DR