La Vie Aquatique
À travers l'ultime baroud d'un océanographe has been, Wes Anderson poursuit ses explorations intimes et oniriques, nourries à la sève de ses personnages toujours aussi grandioses dans leurs faiblesses.François Cau
Depuis Bottle Rocket, son premier long-métrage co-écrit avec les frères Wilson (Luke et Owen), Wes Anderson se construit une filmographie exemplaire, sachant juguler l'augmentation croissante des moyens mis à sa disposition par un imaginaire visuel débridé et purement jouissif. Virtuose de plus en plus affirmé de la mise en scène, Anderson enveloppe avec bonheur les circonvolutions émotives de ses héros d'écrins esthétiques à leur hauteur. Un style qu'on pensait à son apogée dans la Famille Tenenbaum, chronique familiale ambitieuse, aussi émouvante qu'hilarante, sise dans un manoir prétexte à de multiples plans-séquences vertigineux illustrant à merveille la dimension chorale du récit. On se fourvoyait dans les grandes largeurs... Le décor principal est ici le Belafonte, glorieux navire du capitaine Steve Zissou, océanographe vedette à bonnet rouge dont les derniers documentaires laissent le public franchement sceptique. Lorsque son second et ami de toujours Esteban Du Plantier se fait dévorer par le légendaire requin-jaguar, Zissou décide de partir en mer une dernière fois, rejoint in extremis par un blondinet qui pourrait être son fils. Il devra également compter sur Klaus, l'assistant allemand en mal de reconnaissance, Alistair Hennessey, le rival dandy adepte du slip kangourou, ou encore Pelé, matelot brésilien qui ne s'exprime qu'en interprétant des reprises de Bowie dans sa langue natale.Le Monde du silenceTrès rapidement, on ne sait plus trop où donner de la tête : le scénario de La Vie Aquatique fourmille de personnages tous plus excentriques les uns que les autres, et d'une multitude de détails s'entrechoquant en permanence pour donner au film sa singularité. On reconnaît les tics de réalisation d'Anderson (la visite du Belafonte via un plan-séquence, les intermèdes musicaux et/ou oniriques), on craint même que celui-ci ne s'enferme dans une sorte de routine miraculeuse, qui lui permettrait de traiter n'importe quel sujet avec maestria. Car sous ses dehors de grand n'importe quoi (en particulier à partir de l'arrivée des pirates philippins), l'intrigue de La Vie Aquatique résonne des obsessions thématiques de son auteur avec brio. Bill Murray (une nouvelle fois exceptionnel) fait écho au Gene Hackman de La Famille Tenenbaum en lui apportant son irrésistible touche amère de loser grandiloquent, entre élans paternalistes foireux et non-dits sincèrement touchants. Le reste du casting complète la réussite globale du film avec panache, dispensant son lot de surprises de taille (le mémorable Willem Dafoe en tête) ; et le monde sous-marin de synthèse créé par Henry Selick (réalisateur de L'Etrange Noël de Monsieur Jack) transcende continuellement la poésie tacite d'un film dont la bizarrerie fait tout le prix. Bien luné, on verrait presque dans le personnage de Steve Zissou une critique acerbe du showbiz et du star-system. Mais ce serait nier la beauté addictive de son voyage intime, atteignant son zénith émotionnel dans sa mémorable dernière plongée.La Vie Aquatiquede Wes Anderson (EU, 1h58) avec Bill Murray, Owen Wilson...